Au cours d’une interview, à la question de savoir qui pourrait être son successeur à la tête de l’Etat, le président Alassane Ouattara avait dit qu’il y avait, au sein de son parti, le RHDP, une demi-douzaine de cadres capables. Nous avons décidé de braquer nos projecteurs sur nombre d’entre eux. Le premier, Ibrahim Cissé Bacongo, qui fait feu de tout bois en ce moment, semble mal parti. Même si…
Le 27 Décembre 2023, le ministre Cissé Bacongo, maire de la commune de Koumassi, est nommé gouverneur du district d’Abidjan en remplacement de Beugré Mambé, nommé Premier Ministre. Depuis le président Houphouët, selon une règle non écrite, le maire central de la ville d’Abidjan, aujourd’hui le gouverneur, est un autochtone Atchan (ebrié). En nommant Bacongo, le président Ouattara rompait ce » deal « . Il n’y a pas eu de remous, certainement, parce que le gouverneur Mambé, un atchan, est devenu PM. Le président Ouattara a « joué intelligemment ». Mais, le malaise n’a pas disparu, la question est toujours « dans l’air ». Des populations Atchan estiment que ce poste leur revient « de droit ».
Il faut dire que le nouveau gouverneur s’est embarqué dans des actions qui ont immédiatement suscité une vive émotion. En tant que maire de Koumassi, il s’est bâti une réputation en rasant quasiment tous les quartiers précaires de la commune, sans états d’âme, insensible aux critiques. Cela lui a valu de la réprobation, mais aussi des lauriers. Il fut désigné « maire de l’année » en 2022. Sous certains aspects, la commune de Koumassi a aujourd’hui fière allure du fait de certaines réalisations.
Les choses ont pris une tournure dramatique lorsque le nouveau gouverneur Bacongo s’est mis en tête de reproduire les actions menées à Koumassi dans tout le district d’Abidjan. Il a ciblé 177 quartiers qu’il avait commencé à raser, sans concertation avec les maires de ces communes, ni avec le ministère de la construction, sans sommation, sans indemnisation, sans solutions de recasement, en abandonnant des milliers de familles dans la rue. Tout cela, une semaine après la victoire des Eléphants à la CAN 2023. L’ampleur des premières démolitions a jeté un voile de tristesse et de désolation sur la ville d’Abidjan. Le pays est passé de la joie à la stupeur en une semaine.
Il juge mal les situations ?
Le malaise était unanime, même dans le parti présidentiel. Pour le gouverneur Cissé Bacongo, les quartiers de Gesco et banco I qu’il avait fait rasés dans la commune de Yopougon, « ressemblaient à des villages, et ne reflétaient pas la réputation de la ville d’Abidjan, une ville qui avait fait rêver tous les visiteurs durant la Can ». Telle était l’explication qu’il avançait pour la démolition de ces zones !!! Pour beaucoup, c’était inadmissible de justifier des déguerpissements d’une telle ampleur par une raison aussi « puérile ».
Mais, immergé dans ses convictions, le gouverneur Bacongo ne semblait pas être conscient du traumatisme qu’il avait déclenché. Il paraissait déconnecté de la réalité, totalement désaxé, prédisant même « qu’on l’applaudira lorsqu’il aura tout terminé terminé ». En se mettant en tête de raser 177 zones d’habitation densément peuplées, il ne se rendait peut-être pas compte du caractère irrationnel de l’objectif. On s’acheminait vers des émeutes, vers une crise du logement pour des milliers de familles. Pourtant, le ministre Bacongo donnait l’impression de vivre dans son monde qui n’était pas forcément celui où se déroulaient les événements.
Dans la foulée, un collège avait été rasé dans la zone de Gesco. C’était « une école boutique qui n’avait rien à faire là », selon le ministre Bacongo. La réprobation fut générale. La psychose s’était emparée de tous les quartiers précaires. Cette atmosphère a quelque part assombri le gala de la fondation de la première dame qui s’est déroulé dans la même période. Bien sûr, il s’est trouvé un groupe de personnes pour applaudir le gouverneur. Mais, on a tout de suite compris que c’était quelque chose d’organisé pour ne pas donner l’impression qu’il était isolé. En vérité, le gouverneur paraissait seul contre tous.
Un personnage encombrant ?
C’est dangereux qu’un élu ne tienne pas compte du ressenti de ses décisions. Dangereux qu’il pose des actions qu’il sait pertinemment presqu’en déphasage avec la loi. Celle –ci prévoit le recasement des populations sur un nouveau site, leur dédommagement en numéraire (argent liquide), une sommation (un délai pour évacuer les lieux), et en dernière phase la démolition de la zone, quand bien même les populations se sont installées dans l’illégalité. C’est, dans l’ordre, la séquence à observer pour un déguerpissement. Pourtant, ce proche du chef de l’Etat…
Les déguerpis de Gesco et de Banco-I ont été dédommagés, par la suite, et un nouveau site leur a été attribué dans la zone d’Anyama, au compte de l’Etat. Ensuite le gouvernement a mis en place un « comité de supervision » des déguerpissements sous l’autorité du Premier Ministre; ce qui de facto revenait à retirer le pouvoir de décision à Cissé Bacongo sur la question. Les quartiers concernés sont passé de 177 à 67. Mieux, ils ne seraient pas déguerpis, mais « réhabilités », selon le terme employé. En Mai, 07 vice-gouverneurs ont été nommés, ce qui rend désormais, la prise de décision collégiale au niveau du District. Visiblement, les pouvoirs du Gouverneur Cissé Bacongo ont été limités.
Les démolitions à grande échelle lui étant désormais interdites, le gouverneur va continuer des coups d’éclat, avec la démolition du black market d’Adjamé, du grand marché d’Abobo, d’un espace à Angré, des habitats précaires dans la zone du zoo, dans le quartier Bracodi à Adjamé, et dans la zone de l’abattoir de port bouët où la résistance des habitants a généré de la violence et des dégâts. Encore une fois, ce qui est mis en cause, c’est le fait de surprendre les occupants du jour au lendemain, de ne prévoir aucune solution de recasement. Le district s’appuie sur des sommations remises, le plus souvent, il y a des années.
Le président Ouattara a-t-il réellement cerné l’homme ?
Les démolitions ont fait surgir la question de la propriété des sites libérés. A l’origine, les quartiers précaires étaient loin de la ville, les occupants avaient négocié les emplacements avec les villages atchan (Adjamé-village, Attécoubé, Agban, Locodjro, etc.). Aujourd’hui ces villages réclament ces zones. Les deux sites déguerpis qui sont la propriété indiscutable du District d’Abidjan sont le site de l’abattoir et l’espace du « black market » (l’ex-Gare Nord des années 70). Pour les autres, les choses s’annoncent compliquées. Si le gouverneur Bacongo comptait avoir la haute main sur tous les sites qu’il a libérés, il a quelques soucis à se faire.
Il y a aussi l’affaire concernant le boulevard de la paix, cette voie expresse qui devait être réhabilitée dans le cadre du MCC. Les Américains auraient suspendu leur financement parce que mécontents des indemnisations. Les déguerpissements ont été menés par le District. Le gouverneur Bacongo est-il intervenu dans les indemnisations ? Les choses restent quelque peu floues. Le gouvernement n’a pas officiellement réagi au retrait supposé du financement américain.
Quasiment 70 ans, ministre de 2005 à 2016, « conseiller spécial du président, chargé des affaires politiques avec rang de ministre » depuis Juillet 2021, secrétaire exécutif du parti présidentiel depuis Août 2022, député-maire de Koumassi, gouverneur du District d’Abidjan depuis Décembre 2023, Cissé Bacongo est dans la place depuis une vingtaine d’années.
Autre initiative controversée, en tant que SG du parti au pouvoir, il a décidé que désormais le parti devait célébrer la date du « 11 Avril », comme jour de la « victoire de la démocratie », en référence à la date du 11 Avril 2011, jour où le candidat Alassane Ouattara est formellement devenu Président. Mais l’initiative n’a pas vraiment reçu une adhésion spontanée au sein du parti, même si tout le monde fut présent à la rencontre. D’aucuns auraient murmuré tout bas que ces cérémonies incessantes perturbent les ministres dans leur travail. Il y a tellement de dates à célébrer. Une conclusion parait claire à tirer, Ibrahim Cissé Bacongo, c’est le « Balla Keita » du président Ouattara. Un fonceur.
La presse fait souvent référence à lui comme potentiel « présidentiable », si le président Ouattara décidait de ne pas « y aller » en 2025. L’homme semble nourrir des rêves dans ce sens. On le dit sous la coupe d’un « voyant-mystique » qui lui aurait prédit une « grande destinée ». Nous sommes en Afrique et cette dimension ne doit pas être négligée. En tous les cas, tout porte à croire qu’il sera dans la place pour encore un bon bout de temps.
Douglas Mountain
Le Cercle des Réflexions Libérales