Les nations unis identifient deux principaux pôles d’immigration en Afrique : l’Afrique du Sud et la Côte d’Ivoire Les flux sont cependant décroissants pour la nation arc en ciel qui a perdu de son attractivité du début des années 2000, où elle avait supplanté l’Europe et les Etats Unis comme destination préférée de la jeunesse du continent. En cause, la crise économique, le chômage, et les violences xénophobes. L’Afrique du Sud ne fait plus rêver. Certes nous avons toujours affaire à la première puissance industrielle d’Afrique, la première destination des investissements sur le continent. Mais la situation économique s’est considérablement dégradée, le pays a reculé sur bien des indicateurs, et ne constitue plus un modèle désormais. Ce qu’on peut encore lui envier, c’est l’indépendance de sa justice, et sa démocratie.
Un pays bâti sur l’immigration sous-régionale
En revanche l’attraction de la CI sur les populations d’Afrique occidentale, centrale et même au delà, est toujours plus forte, conséquence de l’expansion économique, et d’un climat ouvert, libéral, tolérant, qu’on ne retrouve pas forcément ailleurs. Comme on le dit, « tout le monde peut faire son petit trou en CI ». L’immigration vers ce pays n’a jamais cessé même durant la décennie de crise du début des années 2000. Depuis les années 90, c’est le pays africain avec la forte population de non nationaux, aussi bien en volume, qu’en pourcentage de la population totale. Cela est connu. Pourtant les chiffres officiels ne traduisent pas forcément cette réalité dans toute son ampleur. Le dernier recensement de la population, semble visiblement en déphasage avec une immigration qui accélère dans le pays depuis 2011.
Selon le recensement de 2021 dont les chiffres ont été publiés en 2022, la CI compte 29 389 150 résidents dont 22 924 530 nationaux, 6 460 062 non nationaux (22% de la population totale), et 4 558 résidents dont la nationalité est « indéterminée ». Ce sont des chiffres officiels, produits par l’Etat ivoirien, qu’il serait inapproprié de contester. Mais cela ne doit pas empêcher de mettre certaines préoccupations sur la table. Si le recensement général consiste à faire le décompte de tous les résidents sur le territoire, les nationaux comme les non nationaux, ces derniers font aussi l’objet d’un décompte de la part de leurs consulats. Ainsi les données issues des deux sources devraient en principe concorder, mais cela est loin d’être le cas.
Limitons-nous à la CEDEAO. Dans le recensement de 2021, la population totale issue des pays de cette organisation s’établit à 6 336 560 individus. En comptabilisant les données des consulats des différents pays sur leurs populations présentes en CI, on aboutit à une population totale d’environ 12 millions d’individus. Bien sûr personne ne devait s’attendre à une égalité parfaite des données issues des deux sources, mais le gap (environ 06 millions d’individus) est trop important pour ne pas attirer l’attention. Comment l’expliquer ? Qui est dans le vrai ?
En 2019, le gouvernement ivoirien avait établi le taux de chômage à « 5% ». Devant le tollé général, ce taux fut « corrigé » et revu à « 25% », en tenant compte « des situations de sous-emploi » selon l’explication officielle. Or, La BAD avait mené sa propre étude qui établissait un « taux de chômage et de sous-emploi » fortement supérieur au taux officiel. S’en était suivie une grosse polémique. Cela montre qu’en matière de statistiques, il faut faire attention. Dans nos Etats, les chiffres officiels sont souvent à relativiser. Les données de la population n’y échappent pas. Les chiffres produits par l’Etat ivoirien sur les non-nationaux sont contredits par ceux des consulats.
Quelle source est la plus crédible ?
Généralement lorsqu’un étranger débarque dans un pays, il peut se rapprocher de son consulat pour diverses raisons. Il donnera toutes les informations qui lui seront demandées, qu’il soit en situation régulière ou pas. En revanche, il va dans un premier temps observer une méfiance envers l’administration du pays d’accueil, surtout s’il se sait en situation irrégulière, ou potentiellement dans cette situation (lorsque va expirer la durée légale de son séjour). Il y a toutes les chances que cet individu passe sous les radars lors d’un recensement de la population. Il ne va jamais se prêter aux questions des agents recenseurs. C’est totalement exclu. Ainsi la qualité des données concernant le dénombrement des non-nationaux lors des recensements se pose, car ces derniers ne collaborent pas vraiment.
La méthode de recensement de la population en CI consiste à faire du porte-à-porte pour obtenir les données sur les individus. C’est cela qui garantit le caractère exhaustif de l’opération selon les autorités. Dans les zones à forte concentration étrangère, les agents recenseurs butent sur des individus qui se dérobent. Ils repartent avec des données étriquées, des formulaires quasiment vides. L’Institut National des Statistiques (INS) a recours à des formules mathématiques pour « redresser les données » comme on le dit dans le jargon des statisticiens. Mais cela débouche sur des « estimations probabilistes », ce ne sont pas des données qui résultent d’un décompte réel, ce sont des données estimées avec une certaine marge d’erreur, ce qui remet en cause leur crédibilité. Car on peut estimer une donnée avec une marge d’erreur, mais lorsqu’on compile des milliers de données estimées, la marge d’erreur s’amplifie d’autant.
Tout porte à croire que « 06 millions de non-nationaux » issus des pays de la CEDEAO, sont passés sous le radar lors du dernier recensement, ce qui mécaniquement fait passer la population totale de 29 à 35 millions d’individus, celle des non-nationaux de 6,4 à 12 millions, et leur proportion dans la population totale de 22 à 34%. Beaucoup diront que ces chiffres sont totalement abstraits, et ne reposent sur rien. Pourtant dans bien des discours, les autorités reconnaissent que la présence étrangère est largement sous-évaluée. C’est dire qu’elles sont bien conscientes des limites des chiffres officiels. Les non-nationaux sont naturellement plus proches de leurs services consulaires que de l’administration ivoirienne. Les données issues de ces sources ne sont donc pas à écarter du revers de la main.
Que faire désormais pour avoir des chiffres plus « crédibles », ou si l’on veut plus proches de la réalité ? La démarche consistant à faire le porte-à-porte pour obtenir les informations sur les individus est inappropriée sur les non-nationaux d’origine africaine. Cela se voit aussi en Europe. L’INSEE française par exemple, ne va pas débarquer dans un foyer d’immigrés pour entreprendre une enquête de dénombrement !! Le comportement d’un immigré reste le même quel que soit le pays. Il faut trouver une autre méthode pour parvenir à les dénombrer. Pourquoi ne pas mettre en place une formule pour saisir les informations aux portes d’entrée de la CI (postes frontières, aéroports, ports …). C’est à ces niveaux qu’on peut comptabiliser les flux, car une fois les individus sur le territoire, ils deviennent insaisissables.
Douglas Mountain
Le Cercle des Réflexions Libérales