Le lundi 02 septembre 2024, Tidjane Thiam, le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) regagnait Abidjan, après quelques six semaines passées hors du pays. Les militants de son parti se sont mobilisés pour lui réserver déjà à l’aéroport, puis au siège du parti, un accueil « présidentiel ». Prenant la parole, Tidjane Thiam s’est, comme à son accoutumée immédiatement projeté vers la présidentielle de l’an prochain. « Notre équipe est la meilleure et elle gagnera en 2025 », a-t-il lancé sous des applaudissements nourris.
Alassane Ouattara-Tidjan Thiam : un parcours identique
On l’a dit et redit, avec son parcours universitaire et professionnel, son carnet d’adresses, sa vaste intelligence, sa notoriété internationale, etc. Thiam écrase la concurrence. Le parti au pouvoir, le RHDP n’a apparemment pas en son sein quelqu’un de la trempe de Thiam, en dehors du président Ouattara lui-même. Or, celui-ci semble, aujourd’hui, desservi par son âge relativement avancé, 82 ans, et par « l’usure du pouvoir » après bientôt quinze années aux affaires auquel nul n’échappe. C’est un phénomène naturel que même le président Houphouët-Boigny, père-fondateur de la Côte d’Ivoire moderne a connu avant sa mort en 1993. Si donc, l’on s’en tient au back ground, Tidjane Thiam constituerait la seule alternative « crédible » au pouvoir du président Ouattara. Et pour cause…
Les deux hommes ont eu un parcours universitaire et professionnel prestigieux. Ils ont tous les deux une grande renommée internationale du fait des fonctions qu’ils ont occupées à l’extérieur. Ils ont la côte dans les milieux d’affaires et financiers mondiaux. Mais, une question se pose. Le pouvoir va-t-il prendre le risque de laisser compétir Tidjane Thiam en 2025 ? Thiam et son parti auraient tort de prendre pour acquise sa participation à la prochaine présidentielle en tant que candidat. On l’a souligné à maintes reprises, le président Ouattara affiche le détachement sur la question. Pourtant, il le sait, TT représente la plus grosse menace à son pouvoir, qu’il envisage ou non de briguer un quatrième mandat.
Le dilemme des occidentaux
Tout comme le président Ouattara, Thiam semble à la fois proche des Français et des Américains. En Décembre 2023, Jessica Davis Ba, l’ambassadrice américaine en Côte d’Ivoire l’avait personnellement félicité pour son élection à la tête du PDCI. L’époux de cette dernière, un citoyen sénégalais du nom d’Amadou Mathar Ba (le fils d’un ancien directeur général de l’UNESCO) est un ami de longue date de Tidjane Thiam, selon la presse. La même Jessica Davis Ba fut, avant sa nomination en Côte d’Ivoire, la conseillère spéciale pour l’Afrique au bureau de la vice-présidente Kamala Harris, aujourd’hui candidate démocrate à la présidentielle aux USA. Le secrétaire d’Etat américain, Anthony Blinken, avait rencontré Tidjane Thiam en février dernier lors de l’étape ivoirienne de sa tournée africaine.
Côté Français, une première rumeur faisait état de ce que le président Macron aurait voulu le proposer au poste de directeur du FMI, lorsque la Française Christine Lagarde qui occupait ce poste avait été rappelée pour prendre la tête de la Banque Centrale Européenne en 2022. Thiam aurait décliné l’offre. Une seconde rumeur l’annonçait à Bercy ; c’est-à-dire, à la tête du ministère des finances français. Là encore, il aurait décliné. Vraies ou fausses, ces informations traduisent néanmoins la proximité des deux hommes.
L’une des lectures à faire, c’est que les Occidentaux pourraient avoir fort à faire pour opérer un « choix » entre le président Ouattara et celui qui est désormais vu comme son principal challenger. Selon certains bruits de couloirs, ils les exhortent en ce moment à une sorte « d’entente », de « partage du pouvoir ». Le Président Ouattara aurait donné son « accord de principe » tandis que Thiam aurait marqué son scepticisme. Des initiatives de rapprochement seraient donc en cours pour éviter une confrontation directe.
Les ministres et les médias officiels auraient reçu pour consigne de ne pas attaquer frontalement TT, afin de ne pas entraver « le processus ». On remarquera que celui-ci s’abstient en retour de mener des critiques frontales aux actions du gouvernement. Le problème, c’est qu’on ne peut présager de l’issue de cette démarche de rapprochement qui peut aussi bien réussir comme échouer. Il faudra alors s’attendre à ce que le pouvoir d’Abidjan mette en avant, dans une campagne médiatique intensive, des éléments qui sont généralement vus comme les handicaps d’une éventuelle candidature de Thiam.
Tout d’abord, sa nationalité française. Il y a, certes, renoncé. Mais, un débat pourrait s’installer et laisser la tâche aux juges constitutionnels d’en décider. Puisque la Constitution dispose en son article 55 que le candidat à l’élection présidentielle « doit être exclusivement de nationalité ivoirienne, né de père ou de mère ivoirien d’origine ». Et que la notion « exclusivement » ne précise pas de délais. Quand est-ce que le candidat doit ou devient-il « exclusivement ivoirien » ? Et comment ? Cette question pourrait impliquer celle de la résidence. Jusqu’en 2022 Thiam était résident Français. La Constitution modifiée en mars 2020 a levé la première disposition de la Constitution de 2016 qui stipulait qu’il fallait pour le candidat résider en Côte d’Ivoire au moins 5 ans avant son acte de candidature. Mais, là encore, il peut y avoir achoppement. De sorte qu’au final, la balle pourrait être mise dans le camp des juges. Or, sur ce terrain, TT doit craindre…
La participation de Thiam à la future présidentielle est loin d’être certaine
Il est évident que le président Ouattara prendrait un gros risque en invalidant la candidature de Thiam. Des manifestations de rues à prévoir avec certainement une forte pression internationale. En même temps, il prendrait un risque énorme si Thiam était autorisé à compétir contre lui, ou contre un éventuel « héritier ». Son bilan, si impressionnant soit-il, pourrait ne pas lui être d’un grand secours du fait de l’usure du pouvoir et de son âge avancé. C’est un dilemme que le président Ouattara devra, seul, trancher.
Douglas Mountain
Le Cercle des Réflexions Libérales