Ernest Djédjé Blé Loué est né en 1947 en pays Bété en Côte d’Ivoire dans le village de Tahiraguhé proche de la ville de Daloa d’un père sénégalais du nom de Touré, homme d’affaires qui abandonne très tôt son fils pour travailler en Centrafrique au côté de Bokassa en qualité d’Imam de Bangui, Touré décédera en 1971 au Sénégal.
Délaissé par son père, Ernest sera élevé du côté de sa famille maternelle, par sa mère Dapia Blé, fonctionnaire de l’église Baptiste « œuvre et missions » de la localité et par son oncle Blé Loué, dont il héritera du nom de famille. « Djédjé » signifie « iroko », un bois sacré servant à invoquer la protection des ancêtres en bété. Il porte ce nom car à sa naissance, Ernest représentait l’espoir de la famille.
Dès l’âge de dix ans, Ernest Djédjé est initié au « Tohourou », un rythme traditionnel du terroir bété, dans l’ouest ivoirien. étymologiquement, le « Tohourou » provenant du mot guéré (ethnie Ouest-ivoirienne) « Athônô wrhou » signifie en français « raconte moi l’histoire, apprends moi l’histoire ». Ainsi, Ernest Djédjé travaille très tôt sa voix et développe ses capacités de poète lyrique. Le « Tohourou » sera d’ailleurs l’une des origines du ziglibithy.
Débuts : les premières expériences (1963-1968)
Ernest Djédjé monte en 1963 avec son ami Mamadou Kanté, un orchestre de fortune dénommé « Les Antilopes ».
Il acquiert ainsi une certaine expérience musicale notamment dans le maniement de la guitare. Le groupe fait des prestations, des concerts dans l’agglomération de Daloa et dans tout l’ouest ivoirien. En 1965 à Vavoua, l’artiste Amédée Pierre, originaire lui aussi de l’ouest, découvre Ernest et repère en lui un musicien talentueux.
Amédée Pierre recrute le jeune adolescent Ernest Djédjé et son ami Mamadou Kanté dans son orchestre « Ivoiro-Star ».
De 1965 à 1968, il sera le chef d’orchestre de l’« Ivoiro-Star Band ». C’est dans cet orchestre, qu’il apprend à jouer de la guitare métallique tandis que Mamadou Kanté apprend à jouer à la contrebasse.
En 1968, alors que rares sont les artistes diplômés en Côte d’Ivoire, il est détenteur du BEPC et décide d’émigrer vers la France. Il devient ainsi l’un des rares immigrés en France originaire de la Côte d’Ivoire dans les années 1960.
En France, il étudie l’Informatique. Il revient dans son pays d’origine pour un temps assez bref. Emmanuel Dioulo l’embauche en qualité de responsable culturel à l’Autorité pour l’aménagement de la région du sud-ouest (ARSO) à San-Pédro. Avec l’aide d’Emmanuel Dioulo, il crée le « San-Pédro Orchestra ». Quelques mois plus tard, après un passage à Abidjan, il rejoint à nouveau la France.
Toujours passionné de musique, en France, il fait la rencontre de futurs célébrités de la musique africaine tels Manu Dibango, Anouma Brou Félix et François Lougah. Avec leur collaboration et notamment celle de Manu Dibango à l’arrangement, il enregistre son premier album intitulé Anowa en 1970.
Un an plus tard, il sort sa troisième œuvre discographique dénommée N’wawuile/N’koiyeme avec l’orchestre Reeba.
Il entre en conflit avec Amédée Pierre en raison de sa rupture avec l’« Ivoiro-Star ». Amédée Pierre n’étant pas au courant du départ de Ernesto Djédjé en France, le rencontre avec surprise au bal du Mouvement des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (MEECI) à Metz (France) en 1972.
Amédée Pierre étant en tournée en France pour six mois, décide d’engager à nouveau Ernesto Djédjé au sein de l’« Ivoiro-Star Band ». Mais Ernesto Djédjé ne jouera qu’un des concerts d’Amédée Pierre, laissant la place de guitariste à Pascal Dido au sein de l’orchestreParis, se retrouvant une seconde fois en situation conflictuelle avec Amédée Pierre. En 1973, il enregistre l’album Mamadou Coulibaly et son 6 album, toujours en France du nom de Zokou Gbeuly. Ces six opus sont bien accueillis au niveau de la Côte d’Ivoire. Cette même année, il décide de rentrer en Côte d’Ivoire.
A son retour, Ernesto Djédjé ne délaisse pas le domaine musical. Il veut révolutionner la musique ivoirienne en mélangeant disco dance de l’occident, Rumba de Cuba, le Makossa d’Afrique Centrale avec la musique traditionnelle ivoirienne. Certains parlent d’Afrobeat ou Afro funk. Commence alors tout une période de recherche pour moderniser la musique ivoirienne. Ernesto Djédjé revient à ses premières amours : « la musique de recherche » piochée dans la tradition. En 1975, il sort l’album Aguissè.
En voyage au Nigéria, il découvre l’Afrobeat de Fela Anikulapo Kuti, musique issue de rythmes traditionnels yoruba, fortement imprégnée de funk, jazz et highlife. Un style musical qui colle à ses envies. Il se sent enfin capable d’allier danse Bété et Disco conjugués aux chants lyriques « Tohourou » et Rythmes and Blues sur ses propres solos de guitare avec fond de percussion du terroir ivoirien. Nait ainsi le ziglibithy, sa création par excellence dont il deviendra « Le Roi », comme le furent Michael Jackson pour la pop et Elvis Presley pour le rock and roll.
En 1977, avec la collaboration du plus puissant producteur ivoirien de l’époque, Raïmi Gbadamassi, dit Badmos, (créateur de Badmos Store) et de Makainos, après 6 mois de studio, Ernesto Djédjé sort son premier 33 tours, un album monumental enregistré à Lagos au Nigéria d’où va naître le tube international Ziboté qui le place au-devant de la scène.
L’album Ziboté place Ernesto Djédjé enfin au-devant de la scène, le titre promo du même nom de l’album devenant un tube international, sans doute celui de Djédjé qui a rencontré le plus de succès.
Avant cette arrivée, existaient deux tendances en Côte d’Ivoire : la musique traditionnelle ivoirienne devenant impopulaire chez la jeunesse et la musique internationale (américaine, cubaine et d’Afrique centrale), gagnant en popularité.
Le ziglibithy est une danse et un style musical révolutionnaire qui a su remettre la musique ivoirienne au goût du jour en Côte d’Ivoire en alliant avec harmonie musiques extérieures et musique classique ivoirienne.
Ainsi, Ernesto Djédjé s’inscrit dans une troisième tendance qui mélange les deux premières, dont font partie François Lougah et Bailly Spinto. Le ziglibithy s’impose dans toute l’Afrique subsaharienne – Afrique Centrale notamment au Cameroun.
Le Burkina Faso est l’un des premiers pays à accueillir favorablement le ziglibithy. Puis, ce style s’exporte très vite en Afrique de l’Ouest, notamment au Bénin, au Mali, au Togo, en Guinée Conakry, même au Liberia pays anglophone.
Le succès commercial dépasse les prévisions du producteur Badmos.
En 1976-1977, Ernesto Djédjé est élu meilleur musicien de l’année par référendum Ivoire Dimanche (ID).
Ensuite, celui que l’on surnomme l’« épervier », monte l’orchestre appelé « les Ziglibithiens » avec Diabo Steck à la batterie, Bamba Yang au clavier et à la guitare.
Le groupe est aussi constitué de Léon Sina, Eugène Gba, Yodé, Tagus, Assalé Best, Abou et Youbla. Assalé Best est le chef d’orchestre tandis que John Mayal, issu du groupe Black Devils, rejoint le groupe pour les prestations scéniques auprès d’Ernesto Djédjé.
Il met directement sur le marché l’album Les Ziglibithiens en 1978. Ernesto Djédjé est au sommet de son art, il est qualifié de « Gnoantré national » soit « l’homme avec lequel toute une nation lutte », car Gnoantré, mot bété, signifie « lutte, combat avec lui ». Le professeur Yacouba Konaté juge ainsi le ziglibithy :
« Mieux que toute théorie de l’authenticité, mieux que tout discours préconisant le retour aux sources, le ziglibithy donne un sens et une forme à la volonté des Africains qui veulent se nourrir de la sève de leurs racines. C’est une action, une recréation qui fonde une esthétique nouvelle sur le socle culturel et historique de la société ivoirienne ». Il devient l’icône de toute une génération en quête d’une nouvelle identité, en modernisant la culture sur influence occidentale tout en puisant dans la Culture ivoirienne.
Il sort en 1979 Golozo et Azonadé en 1980. En 1981, sort l’album Zouzou Palegué. L’artiste termine sa carrière avec l’album Tizeré avec notamment une chanson en hommage au politicien Konan Bédié en 1982 et une autre, dédiée au président Félix Houphouët-Boigny, intitulé Houphouët-Boigny Zeguehi.
A cette époque, Ernesto Djédjé, proche du parti unique au pouvoir, le PDCI-RDA, était le « chouchou » du président Félix Houphouët-Boigny et d’Henri Konan Bédié : aucune conférence ou réception présidentielle de haute importance n’était organisée sans une prestation du « Gnoantré national ». Il était souvent invité à se produire à La Première avec l’orchestre de la Radiodiffusion-Télévision ivoirienne dont faisaient partie Antoinette Konan, Waïpa Saberty ou encore Chantal Taïba.
Il fit alors les beaux jours de Radio Côte d’Ivoire, y compris après son brusque décès en juin 1983 à Yamoussoukro.
Ernesto Djédjé décède brusquement le 9 juin 1983 à l’hôpital militaire de Yamoussoukro à l’âge de 35 ans.
Sa mort constitua un choc pour la nation ivoirienne.
Officiellement, l’artiste est décédé consécutivement à un empoisonnement après son retour de voyage de Ouagadougou au Burkina Faso lors d’un repas à Yamoussoukro. A ce jour, aucun résultat d’enquête n’est disponible. Le 30 juillet 1983 son corps fut exposé au Stade de Tahiraguhé.
Ses funérailles dureront plusieurs jours avec la prestation de plusieurs artistes tels Johnny Lafleur, Alpha Blondy ou encore Allah Thérèse.