« Que celui d’entre vous qui n’a jamais péché, lui jette la première pierre », apostropha Jésus de Nazareth, s’adressant à la cohorte des érudits de la loi et des pharisiens qui s’apprêtaient à lapider une femme convaincue du péché d’adultère (car prise en flagrant délit) selon la loi de Moïse. L’audace et l’autorité de Jésus affichée par la vérité contenue dans son propos, désarma ceux qui s’apprêtaient à lyncher à mort la pécheresse. Jésus s’approcha de la femme effondrée, la releva, lui pardonna sa faute et lui recommanda de ne plus retomber dans le péché. Ces propos sont rapportés dans l’Evangile de Jean (Jn 8,7). Ils sont symboliquement d’une force inouïe. Ils interpellent tout homme sur sa condition d’être imparfait qui aspire à la perfection qui n’est autre que Dieu. Et si Dieu peut pardonner, lui qui est Créateur, miséricorde et sans tâche, alors combien de fois l’homme qui est souillé, depuis sa conception et sa naissance, serait-il intransigeant, inflexible ou impitoyable à l’égard de son semblable à qui il refuserait le pardon ?
La question est là !
L’ancien président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, a, devant le peuple digne et souverain du Faso, posé un acte de contrition qui a fait le tour des médias et de la toile. Celui qui a gouverné le pays des hommes intègres pendant 27 ans a demandé pardon pour toutes les fautes et autres manquements dont il se serait rendu responsable ou qu’on lui imputerait même à tort. Ce faisant, Blaise a également pardonné. Était porteur de ce message, l’émissaire du Président Alassane Ouattara, en l’occurrence, le ministre Ally Coulibaly qui, pour authentifier la démarche et la sincérité du message, était accompagné de la fille biologique de Compaoré.
Plusieurs jours plutôt, à la demande du Président Damiba, Blaise Compaoré s’était rendu en personne à Ouagadougou dans le cadre d’une concertation entre l’actuel et les anciens présidents encore en vie de ce pays. L’ex-président, déposé par le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) en janvier 2022, Roch Kaboré qui avait pris part à la première rencontre du genre en l’absence de Compaoré n’avait pu prendre part à cette autre rencontre. Il avait invoqué des raisons qui n’ont guère convaincu l’opinion. Comment par ailleurs aurait-il eu la force de soutenir le regard clément de son bienfaiteur d’hier et auprès duquel il a pourtant revêtu la tunique de Brutus ? L’opinion n’est pas dupe, et a toujours su reconnaître les Judas.
Le retour à Ouagadougou du vrai bâtisseur de Burkina Faso moderne, n’avait pas manqué de susciter des commentaires favorables et défavorables. Les plus scandalisés, pour justifier leur position de rejet catégorique, ont même excipé de ce que l’ancien président est sous le coût d’une condamnation par contumace à perpétuité et que, ce faisant, sa présence sur le territoire du Faso était une injure à la Justice souveraine de ce pays. Mais quelle justice ? Celle, à deux vitesses, caporalisée par une transition frappée d’amnésie et qui a visiblement échoué ? Car de quoi accuse-t-on réellement Compaoré ? D’avoir fait un coup d’Etat et d’avoir installé Thomas Sankara ? Si tel est le cas, alors tous les coups d’Etat survenus en Haute Volta (rebaptisée Burkina Faso), même celui de l’armée du peuple de janvier 2022, ainsi que leurs instigateurs, devraient être poursuivis au même titre. Blaise Compaoré, lui, a eu au moins la grandeur d’âme et l’humilité de demander pardon et de pardonner.
C’est le lieu de s’interroger ici. Que veulent les filles et fils du pays des hommes intègres ? Continuer de vivre dans le passé en en agitant les fantômes et en déterrant indéfiniment les cadavres ? Remuer continuellement le couteau dans une plaie que l’on ne veut pas voir cicatrisée ? Demeurer dans la rancœur et cultiver un esprit de vengeance alors que le pays fait face à plusieurs monstres dont le terrorisme, le djihadisme et par moment des conflits communautaires ? Quels sont ces femmes et ces hommes qui ne peuvent pardonner car ils sont saints ?
Ce que Blaise Compaoré a fait est un acte à la fois de contrition, d’humilité et de grandeur. Il connaît les valeurs cardinales du grand peuple du Burkina Faso et il s’est inscrit dans la logique d’une réconciliation sincère qui fera avancer le pays, et non le maintenir dans l’étau de la haine vengeresse et de la division. C’est un début de solution à la normalisation de la vie, d’un pays en proie à plusieurs défis qu’aucun Burkinabé seul ne saurait relever. C’est une première étape, consistant à briser la glace, à laquelle Compaoré vient de sacrifier.
Le Burkina Faso a besoin d’une sorte de catharsis sociale collective qui favorisera la réconciliation et l’union vraie des cœurs. C’est le sens qu’il faut donner à l’acte de Blaise Compaoré. C’est un acte sacrificiel de haute portée sociale et spirituelle.
Aucune nation dans le monde de peut avancer et se développer dans la haine. Nul n’est besoin de remonter dans l’antiquité la plus reculée pour en avoir des exemples. Très près de nous, le 20e siècle nous aura édifié suffisamment. Combien de crimes n’ont-ils pas été perpétrés en Afrique du Sud pendant la période dite de l’apartheid ? N’a-t-on pas déploré des centaines de milliers de morts dans le génocide rwandais ? Pour surmonter cela, il a fallu certes la justice, mais surtout, au-dessus de la justice, le pardon pour entamer l’œuvre de construction des Etats nations dont on cite aujourd’hui les avancées. Combien de présidents américains ou de militants des droits civiques ne sont-ils pas morts assassinés aux Etats-Unis d’Amérique considérés pourtant comme la plus grande démocratie ? La famille de Patrice Lumumba, pour ne citer que ce cas illustre et dont les reliques ont été rendues à son pays en le 20 juin dernier (2022), n’a-t-elle pas pardonné ?… Il faut donc tourner la page et donner une chance au pardon.
Parmi ceux qui ont manifesté leur profond mécontentement, il y a les ‘’sankaristes’’ les plus inféodés. Ces irréductibles étaient pourtant bien loin de penser qu’un jour Blaise Compaoré, devant la planète entière, demanderait pardon à la famille de Sankara et au peuple du Burkina Faso tout entier. Ne pas accorder de crédit à ce geste si profond, reviendrait à se poser des questions sur les fondements même de leur haine viscérale (contre un homme qui en réalité a permis au Faso d’atteindre son niveau actuel), au point même d’entacher la mémoire de celui qu’ils ont de tout temps élevé au rang de martyr et de héros ; alors qu’en réalité, ils ne se serviraient de lui que comme d’un fonds de commerce. Ce sont des Sankaristes alimentaires en manque de protéines ; raison pour laquelle ils agitent toujours le chiffon du Sankarisme. Sankara lui-même, qui repose en paix, leur en voudrait aujourd’hui, pour leur mascarade.
Les réactions des membres de la famille, notamment de l’épouse Mariam (qui a déclaré en substance : « je doute de la demande de pardon de Blaise Compaoré ») et de sa sœur Blandine (qui a carrément lancé en substance : « Il connaît bien où se trouve la famille. Il connaît bien comment contacter la famille (…) Ce n’est pas pour être rancunier, mais nous disons que la manière, c’est une insulte encore. Une fois de plus, c’est une insulte ») ; elles ont été pour le moins inutilement amers et outrancièrement disgracieuses. Pour Blaise, il s’agissait d’abord de parler au peuple du Burkina Faso (dont la famille fait partie), avant de le faire de façon plus intimiste avec la famille dans le pur respect des us et coutumes, des traditions multiséculaires du peuple Mossi. La veuve et la sœur auraient-elles oublié que Blaise durant tout son règne n’avait jamais exercé une quelconque pression sur la famille ? Que Mariam (et aucun membre de la famille) n’a jamais été inquiété dans ses déplacements au Faso et à l’extérieur ?
C’est ce même Blaise qui a autorisé la création des partis dits sankaristes (qui ne représentent qu’une infinitésimale partie du peuple burkinabè), et à mener leurs activités en toute liberté. Sauf respect dû aux morts, il est de notoriété que Sankara ne fut pas un saint. Sankara n’était pas l’immaculée conception. A son avènement, il institua une justice révolutionnaire qui mit sur la touche les juges et les avocats ; des personnes furent expropriées, d’autres perdirent la vie du fait de l’exception révolutionnaire qui se transformait en dictature rampante. Il y avait une réelle menace de déviance. D’où le désaccord d’une partie des frères d’armes, dont la faction qui échangea des tirs avec celle de Sankara, échanges au cours duquel celui-ci perdit la vie. Et, on ne le soulignera jamais assez, Blaise n’était pas sur le théâtre des opérations.
La forme du pardon, tel que le monde entier a pu le voir à ciel ouvert, pourrait amener certains esprits obtus à parler de théâtralisation. Mais, encore là, même si ce n’est guère le cas, ils se prendraient eux-mêmes à leur jeu ; car l’une des fonctions premières dans le théâtre antique et dans les sociétés primitives, c’est bien celle de parvenir, par la dramatisation ou le jeu rituel, à opérer une catharsis, une purification du corps social. Dans le cas du Burkina Faso et du pardon de Blaise, il s’agissait de vaincre et d’exorciser le signe indien de Sankara qui a tendance à tenir le pays en otage depuis 1983.
Cet acte de contrition, il ne l’a pas fait sous la contrainte, la peur du jugement des hommes ou pour plaire à quelqu’un. Blaise Compaoré l’a fait vis-à-vis de sa conscience et surtout face à son Dieu qu’il craint et qu’il adore. Dès lors, tout ceux qui s’offusquent de l’opportunité de cette démarche en s’interrogeant « Pourquoi maintenant ? », doivent se rendre à l’évidence qu’il est clair qu’il n’y a pas d’âge pour toute action visant à rapprocher un homme de son Dieu d’une part, et que, d’autre part, suivant de près l’actualité et l’évolution de la situation sociopolitique et sécuritaire difficile de son pays, Blaise a ressenti au plus profond de lui le désir de pardonner et de demander également pardon car il est tout autant victime. D’où cet élan du cœur d’apporter sa part à l’édification de la paix.
La contradiction est inhérente à la vie humaine. Pour autant, les individus sont amenés à la dépasser ou la transcender par le consensus issu du dialogue. Car dans le fond, nous voulons et recherchons tous la même chose, mais par des voies si souvent divergentes, apparemment contradictoires qu’elles apparaissent ou semblent antagoniques. Nous aspirons à un même idéal. C’est une certitude. Une réalité de notre commune humanité. Si tant est qu’elle n’est pas atteinte ou sabordée par une quelconque pathologie névrotique ou psychopathique avérée ou latente. L’être humain sous tous les climats, toutes les latitudes a toujours aspiré à la quête du bien-être et du bonheur, même si ce désir demeure pour les sages et la majorité des philosophes, sociologues, psychologues, un horizon que jamais l’on ne peut atteindre s’y ce n’est que de manière asymptotique. Un idéal motivant et motivateur qui conditionne ou affecte nos manières d’être, nos mœurs, nos cultures, nos savoirs ; en somme notre être entier, sous toutes ses dimensions, même celle dite spirituelle ou théocratique qui dénote de notre soif d’absolu voire d’éternité.
Au surplus, l’armée du peuple qui a pris le pouvoir au Burkina, doit savoir donner le ‘’la’’ et définir la trajectoire à suivre sans se laisser distraire par ceux qui veulent ramer à contre-courant. Les rencontres initiées par l’actuel président avec ses prédécesseurs sont des signes de bon augure et de sa bonne foi. L’armée du peuple à travers Damiba a l’onction du peuple. Elle doit continuer sur la voie tracée : celle du rassemblement de toutes les filles et de tous les fils du Faso autour de l’idéal de la construction d’une nation forte et unie. L’on sent poindre progressivement à l’horizon les fruits savoureux de l’union retrouvée qui permettra au Faso de faire un bond qualitatif.
Le pardon de Blaise est à saluer, à magnifier et non à condamner. Que celui qui d’entre nous n’a jamais péché, jette la première dans le jardin fleuri du dialogue inclusif, de la réconciliation et de la paix.
Bamba Alex Souleymane
Journaliste professionnel
Expert consultant en stratégies et
en Hautes études internationales