Dans les années quatre-vingt, la Côte d’Ivoire était le premier producteur africain d’ananas. On allait jusqu’à la transformation en jus 100% naturel. Les plus anciens se souviendront de la grosse boîte de conserve à l’étiquette bleue, difficile à ouvrir, mais qui contenait un jus délicieux et sain. Un grand succès national et sous régional, présent sur toutes les tables. Ce sont les régions de Bonoua, Tiassalé, Tiebissou, Azaguié et toute la zone dite du quartier Ananeraie, aujourd’hui avalée par Yopougon qui produisaient le gros du lot d’ananas.
La main-d’œuvre était étrangère
Mais, la culture manuelle de l’ananas est pénible. Les fruits sont lourds et les plantes écorchent les mains à cause des épines. Les traitements phytosanitaires sont aussi éprouvants pour la respiration, voire dangereux – certains étant explosifs. À l’époque tout était fait manuellement. Par ailleurs, ce sont des travailleurs voltaïques qui étaient employés dans les champs. Mes parents avaient une plantation et je suis témoin que 100% des manœuvres affectés aux tâches difficiles venaient du Burkina Faso.
Nos difficultés ont commencé quand il n’y a plus eu de manœuvres disponibles, prêts à aller dans les champs d’ananas. Il faut avouer que c’est un travail harassant. Rendons leur hommage. Ils ont contribué au développement économique de la Côte d’Ivoire.
Naquirent les conflits entre nationaux et étrangers
À partir des années 2000 des frictions entre autochtones et allogènes ont commencé à naître du côté de Bonoua, puis sur la route de Dabou. Elles se sont étendues jusqu’à Tiebissou. En jeu : les terres et cette économie autour de l’ananas, qu’ont voulu reconquérir les nationaux. C’est même en pays baoulé que la crise a été la plus violente. Entre pêcheur bozo et baoulé le long du Kossou. Ainsi qu’entre baoulé et burkinabés dans les champs d’ananas. Beaucoup de ces étrangers se sont alors repliés en brousse dans les forêts plus calmes ; se lançant dans le cacao, le café et surtout l’hévéa, alors, en plein boum. Ils ont trouvé refuge loin des zones à turbulence.
La production d’ananas a commencé à baisser. Trois facteurs l’expliquent : le manque de main-d’œuvre prête à affronter la pénibilité du travail. La mauvaise organisation de la filière. Et, la chute des cours mondiaux. La Côte d’Ivoire a alors perdu sa place de premier producteur africain. Aujourd’hui, c’est le Nigeria qui glane tous les lauriers. Cependant, les agriculteurs nigérians n’ont pas commis la même erreur que les ivoiriens. Ils se sont immédiatement tournés vers la mécanisation avec des moyens de production modernes. Des champs, les fruits sont récoltés avec des machines, directement emballés sur site dans des cartons pour le port. Une technologie Made In Philippines. Eux, sont les plus grands experts et ils assistent les Nigérians.
Les leçons à tirer
De la grandeur à la décadence de la filière ananas en Côte d’Ivoire, nous devons en tirer beaucoup de leçons. Dépendre à ce point de l’étranger, sa main-d’œuvre, ses services ou ses produits, dans quelques domaines que ce soient, est extrêmement dangereux. La mécanisation évite de confier à des hommes, souvent organisés en lobbys et le pire s’ils sont étrangers avec des désidératas extranationaux, le destin d’une filière agricole nationale. Dans cet exemple, il ne s’agit que de l’ananas, fruit de petite consommation locale, essentiellement exporté. Mais on a connu des pénuries de poissons frais de nos grands barrages lorsque les bozo ont arrêté de pêcher, empêchés en cela par les autochtones. Peu importe la raison, le fait est que du jour au lendemain, on n’a que très peu eu d’offres en poissons frais naturel.
On alors été envahi par ces carpes infectes importées de chine et élevées dans des conditions exécrables qui font qu’elles sont interdites dans certains pays modernes. Et pourtant, nous avons suffisamment de plans d’eau, pour être autosuffisants, ne serait-ce que par la pisciculture. Le gouvernement vient d’entamer un grand programme de pisciculture et c’est une excellente décision d’orientation stratégique. Mais force est de reconnaître que les ressources halieutiques naturelles présentes dans nos barrages, ne sont que très peu exploitées depuis les différentes crises avec les pêcheurs venus du mali. Ce type de dépendance est dangereux, tirons-en toutes les leçons !
Jean Christian Konan
CicoServices, Agronomic Intelligence Agency