Le jeudi 22 septembre 2022, le Ministre ivoirien Adama Diawara de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique s’adressait aux différents acteurs de son Ministère. En direct de la page officielle du Gouvernement ivoirien. Dans le »Gouv’talk », un programme qui permet aux Ministres du Gouvernement ivoirien de donner plus de détails du fonctionnement dans leurs différents Ministères. Parmi les nombreux sujets abordés, le patron de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique s’est prononcé sur la question de la bourse étrangère.
« Pour les bourses à l’étranger, on va les donner pour des formations qui sont recherchées sur le marché de l’emploi. Par exemple, vous voulez aller faire de l’Histoire, je suis désolé. Je n’ai rien contre l’Histoire mais bon, franchement vous allez faire ça à Abidjan, ici », a déclaré Adama Diawara.
Des propos que nombre d’Historiens ivoiriens ont trouvé réducteurs, rabaissant vis-à-vis de leur discipline. Un parmi eux, le Docteur Dognima Coulibaly, Historien Moderniste et enseignant à l’Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody. Qui a tenu à crier son mécontentement. Dans une adresse ouverte publiée ce samedi 23 septembre 2022 sur sa page officielle. Pour l’Historien Dognima Coulibaly le Ministre Adama Diawara s’est trompé. Lire ci-dessous sa réponse au Ministre Adama Diawara :
« L’Histoire dans sa méthode ne se tropicalise pas Monsieur le Ministre.
À écouter des dires du Ministre de notre système d’enseignement supérieur, je comprends aisément son niveau de culture concernant les Sciences Humaines et Sociales et surtout l’Histoire qui en est une composante.
Pour rappel , il y’a quelques mois de cela dans un amphithéâtre à Daloa il avait évoqué le terme « truc » quand il faisait référence à l’Histoire.
Je ne vais même pas rentrer dans le fond de sa pensée, questionnons la forme de ce que je pourrai appeler sa méconnaissance des Sciences Historiques. Une simple question suffit.
Pourquoi donne t-on des bourses d’étude aux étudiants ivoiriens en Histoire pour aller faire leur recherche hors de la Côte d’Ivoire?
Car il s’agit là des bourses de recherche. Cette question pour les esprits éclairés doit être la base de la réflexion sur les dires du Ministre qui, il y a belle lurette a étalé son incompétence à gérer notre système d’enseignement supérieur.
Répondre à cette question qui en appelle une autre, celle de la problématique du chômage de nos diplômés nous interpelle sur ce qui, semble être dans ces fondements une Université qui d’ailleurs est bien différente des grandes écoles, aussi bien dans sa structuration que dans son fonctionnement. Alors que l’on sait bien que la qualité d’une Université se mesure par la dynamique de ses sociétés savantes.
L’Université nous place au cœur du débat, de la réflexion et de la production des savoirs. Ce n’est pas le cas d’une grande école.
Ouvrons courageusement le débat , ne nous en soustrayons pas et évoquons notre mission en tant qu’acteurs d’une institution qui porte sur ses épaules la réflexion.
L’Histoire se fait avec des sources. Sans sources il n’y a point d’écriture de l’Histoire. Ce n’est pas une discipline qui s’épanouit en vase clos. L’exemple mien nous servira pour éclairer les lanternes en somnolence.
Je suis Historien de la traite négrière atlantique et de l’esclavage. Pour écrire ma thèse , je me suis appuyé sur trois sources: la première reste les sources orales, la seconde , les sources d’archives et la troisième sont les sources imprimées.
Si pour le néophyte , les sources orales peuvent être obtenues sur places, ce n’est pas le cas pour les sources d’archives. Elles peuplent les archives extérieures à la Côte d’Ivoire. Pour la thèse de Kakou-Bi qui lui a valu un prix en France , celui de la meilleure thèse sur la question de la traite et de l’esclavage, il a dû faire recours aux archives extérieures. En ce qui concerne les archives de France, celles de l’ADLA ( Archives Départementales de la Loire Atlantique ) les fonds de l’Amirauté et la Chambre de Commerce demeurent nécéssaires dans la production d’une thèse sur la traite sur la Côte des Quaqua.
Aucune bibliothèque et archives n’existent en Côte d’Ivoire qui peuvent lui permettre de consulter une telle documentation.
Mais une thèse n’offre pas un emploi . C’est le produit d’une réflexion sur une question donnée, une question digne d’intérêt certes , mais elle a le mérite de nous donner des compétences en termes d’analyse, de tenir un raisonnement cohérent, d’affiner notre capacité de rédaction mais aussi de forger notre capacité d’anticipation.
La traite et l’esclavage sont des passés qui ne passent pas. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde esclavagiste. À la lecture des ouvrages
<< L’esclavage au Mali et celui de l’esclavage au Niger>> et du vécu de la vente des migrants noirs en Libye tout récemment , nous interpellent sur ce passé qui ne passe pas.
Il revient donc au Ministre de l’enseignement supérieur de créer des emplois nécessaires à ces compétences acquises. C’est son rôle.
Et là , il nous montre qu’il a échoué. L’Histoire dans sa méthode ne se tropicalise pas. Ou on fait l’Histoire ou on la supprime de nos programmes. Et on est tranquilles car on aura plus de chômeurs » .
Amédée GBAZO