Avec puissance et majesté, la tour F d’Abidjan, construite par PFO, s’élève dans la skyline du Plateau. Ayant dépassé les 50 étages et visible à quelques 25 km à la ronde, la tour « ridiculise » désormais tous les immeubles aux alentours, notamment la tour E (36 étages), l’immeuble le plus haut de la ville d’Abidjan depuis 1984. Pourtant sur place, ou près du site, on ne perçoit pas sa hauteur démesurée. Son gigantisme n’apparaît que lorsqu’on l’observe en dehors de la commune du Plateau. La tour donne l’image d’un arbre dominant une clairière.
La hauteur de la tour F d’Abidjan a donné lieu à beaucoup de spéculations. Lorsque le projet fut dévoilé dans les médias, il était question d’une tour de 74 niveaux, certains articles de presse évoquaient 76 niveaux, pour un coût global de 250 milliards de FCFA (un coût qui reste officieux). Le chantier débute en Juillet 2021 avec deux entreprises à la manœuvre, PFO (Pierre Fakhoury Organisation) l’entreprise de construction de l’architecte ivoiro-libanais Pierre Fakhoury, et son partenaire, le belge BESIX.
En fin d’année 2022, la presse locale évoque une réduction de la hauteur de la tour, information reprise par la presse étrangère. Quoique cela puisse surprendre, elles sont peu nombreuses les capitales européennes pouvant se targuer d’avoir un gratte-ciel de 74 niveaux. Aujourd’hui, c’est en Asie et dans les pays du golfe qu’on observe ce type de constructions. Qu’un pays africain au Sud du Sahara se lance dans un tel projet suscite évidemment la curiosité de tous. Ainsi la tour a fait l’objet de plusieurs articles dans la presse occidentale.
Intervenant sur la première chaîne le 28 Février 2023, le ministre de la construction, Bruno Nabagné Koné, confirme les informations sur la baisse de la hauteur de l’édifice, en déclarant que « les discussions étaient toujours en cours sur la hauteur définitive de la Tour F, qui serait toutefois comprise entre 50 et 70 étages maximum ». Dans un autre média, il explique que « la hausse des coûts intervenus entre-temps, amenait à redéfinir la hauteur de la tour ainsi que certaines de ses commodités, car il fallait tenir compte des ressources disponibles et des autres chantiers en cours ».
Les propos du ministre étaient fort surprenants, car ils signifiaient qu’on avait lancé la construction de la tour sans en avoir arrêté toutes les caractéristiques. Il était difficile de comprendre qu’un chantier de cette envergure avait été entamé, alors que des détails fondamentaux étaient toujours en discussion. La logique aurait voulu qu’on s’accorde avant de construire, et non pas construire tout en discutant. D’autre part, lorsqu’un chantier est lancé, c’est que son coût est arrêté, ainsi on ne doit plus entendre parler de ’’coûts qui ont évolué entre temps’’, surtout sur un délai aussi court (2021-2022). Les déclarations du Ministre n’étaient pas cohérentes.
En réalité, il était dans un bras de fer avec Pierre Fakhoury, architecte et maître d’œuvre de la tour. Ce dernier, qui a ses entrées à la présidence depuis l’époque du président Houphouët, avait directement débattu du projet avec le président Ouattara. Le ministre Bruno Nabagné Koné ne fut pas associé aux discussions. Il a eu connaissance du projet par la presse comme tout le monde, lorsque tout a été arrêté entre Pierre Fakhoury et le président, les caractéristiques de la tour (donc sa hauteur), son coût, le mode de financement, etc….. L’homme n’aurait pas apprécié sa mise à l’écart, estimant qu’en tant que premier responsable de la construction, Pierre Fakhoury aurait dû d’abord discuter avec lui avant de présenter l’affaire au Président.
Aussi lorsque la construction a débuté, le dossier étant désormais à son niveau, il a remis en cause certains aspects clés de la tour, une manœuvre destinée à montrer à Pierre Fakhoury » qu’il a eu tort de ne pas s’adresser à lui en premier, car en tant que patron de la construction dans le pays, c’est lui qui a le dernier mot « . Le ministre décida de réduire la hauteur de la tour de 74 à 64 étages. Il s’attaqua ensuite au nombre d’ascenseurs, au type de matériaux, à la configuration des niveaux…etc. bien décidé à remettre à plat les plans initiaux, sous prétexte de réduction des coûts de l’édifice. Dans la presse, il réfutait tout conflit avec l’architecte, affirmant qu’il n’y avait jamais eu de « désaccords » entre PFO et le ministère de la construction, le chantier selon lui évoluant « comme prévu ».
Le financement de la tour se fait sur le modèle des investissements chinois. PFO construit sur ses fonds propres, et l’Etat ivoirien règle après. Pour faire simple, l’entreprise construit à crédit, comme le font les Chinois avec les Etats africains. En déclarant à la presse que « la hausse des coûts intervenus entre-temps, amenait à redéfinir la hauteur de la tour, car il fallait tenir compte des ressources disponibles et des autres chantiers en cours », le ministre Bruno Nabagné Koné était simplement dans le faux. L’Etat ivoirien n’injecte pas un franc dans la construction de la tour à ce stade. L’intégralité du financement est apportée par PFO. Par ailleurs, ce n’est pas un partenariat public-privé comme le disent certains médias. Le financement n’est pas conjoint. L’Etat ivoirien contracte une dette auprès de PFO, à l’image des dettes contractées auprès de la Chine lorsqu’elle construit une infrastructure.
Le conflit larvé entre les deux hommes a fini par remonter au Président Ouattara qui a tranché. La tour aura bien 75 étages comme initialement arrêté. Désavoué, le ministre se devait de faire une annonce officielle sans perdre la face. Ainsi le 27 Mars dernier, il a habillé cela par une tournée des grands chantiers dont il a la tutelle. Il a terminé par la tour F, où devant les journalistes qui l’accompagnaient, il a affirmé de façon claire qu’elle aura bien 75 étages et 23 ascenseurs. L’intervention du président sur ce dossier signifiait également qu’il devait désormais se garder de remettre en cause les détails qui ont déjà fait l’objet d’accord. C’était une mise en garde à son encontre. Il ne devait plus imposer ses vues sur le chantier.
Une fois achevée, la tour F d’Abidjan (75 étages) sera le second immeuble le plus haut d’Afrique derrière l’Iconic Tower de la nouvelle capitale égyptienne (80 étages) aussi en chantier. Le trio est complété par la tour Mohamed VI de Rabat (55 étages), qui est achevée. La tour F sera en revanche l’immeuble le plus haut d’Afrique sub-saharienne (Afsud comprise). A l’image du Burj-al-arab, l’immeuble emblématique longtemps demeuré le symbole de Dubaï, qui a généré un « effet d’entraînement » par une course au gigantisme des gratte-ciels dans l’émirat, la Tour F d’Abidjan peut aussi générer ce même effet au Plateau. Déjà les travaux préliminaires sont en cours sur l’ancien site de la Sorbonne pour la construction de la Tour de la Nation (62 étages). Il y a aussi la future tour de la CNPS (40 étages).
Selon la presse, la SOGEPIE qui gère le patrimoine immobilier de l’Etat ivoirien, a déjà lancé des appels d’offres pour la location des bureaux dans la tour F. Et c’est un véritable engouement chez les entreprises, dit-on. Il faut réfléchir à une politique agressive pour attirer les financements des pays du golfe dans la construction des gratte-ciels à Abidjan, car tout porte à croire que lorsque la tour F sera achevée, il y aura une « grosse demande » dans ce sens. De même, il faut lever les limitations de la hauteur des immeubles dans certaines zones, notamment en Zone-4 et Biétry (maximum 17 étages), et dans la zone de Marcory résidentiel (limite 12 étages). La ville d’Abidjan « grandit en hauteur » dans son centre, il ne faut pas entraver ce phénomène propre aux économies qui accélèrent comme c’est le cas de l’économie ivoirienne.
Le plus haut immeuble d’Amérique Latine, le Gran Torre Santiago au Chili, fait 62 étages. La Côte d’Ivoire fait mieux avec la tour F, elle montre que ces édifices sont à la portée des pays africains, elle montre à ces derniers qu’il est temps de sortir des zones de confort, d’en finir avec les solutions timides et conventionnelles pour s’engager sur des voies audacieuses à l’image des Emirats Arabes Unis, cette nation dont nous avons parlé dans un précédent article, qui est considérée comme l’une des nations les plus « efficaces » du monde. La CI doit faire preuve d’imagination, d’audace, d’efficacité, d’innovation, d’agressivité dans la construction de ses infrastructures.
Douglas Mountain
Le Cercle des Réflexions Libérales