Le 1er juin 2024, a été inhumé l’ancien chef de l’Etat, Henri Konan Bédié. Il avait 89 ans. Après avoir servi l’Etat de Côte d’Ivoire au plus haut niveau, en passant par des fonctions non moins importantes, notamment, ministre de l’Economie et des Finances, président de l’Assemblée nationale, N’zueba n’était plus que président du PDCI-RDA. Une fonction qui le mettait toujours en première ligne dans l’animation de la vie politique nationale. Preuve, si besoin en était, de la place prépondérante qu’à occupée le défunt jusqu’à sa mort. A la vérité, HKB, comme l’appelaient ses partisans, a eu un destin singulier qui a ressemblé, peu ou prou, à un conte de fée. Qu’on en juge. Ambassadeur à un âge où beaucoup sont encore sur les bancs de l’école, ministre trentenaire, président de l’Assemblée nationale dans la quarantaine, et last but not least, primus inter parès, à 60 ans, le Sphinx de Daoukro aura eu une vie pleine et riche à tous égards. Il fait partie de ceux que la providence a comblés. Et pas qu’un peu. Il quitte donc la terre des hommes rassasié d’honneurs et de gloire. Mais pas que. Parce qu’il a aussi connu une vie matrimoniale à l’avenant. Car, celle qu’il a choisie et lui ont connu 67 ans de vie de couple sans grands couacs, hors les petites querelles et incompréhensions propres à tout couple et qui en constituent, en réalité, le ciment. De sorte qu’on peut affirmer que Henri et Henriette (Aimé a ajouté le prénom Henri à son nom pour traduire son amour à sa dulcinée) vécurent heureux et eurent de nombreux enfants (4). Que demander de plus au bon Dieu? Peut-être sa barbe.
HKB est reparti auprès de son Créateur l’esprit en paix
Plus sérieusement, HKB est reparti auprès de son Créateur l’esprit en paix. Puisqu’il a eu pendant sa vie sur terre tout ce qu’un mortel peut désirer. Il n’a donc manqué de rien. Matériellement parlant. D’autant que sa fortune l’a mis à l’abri du besoin. Encore une fois, que demander de plus au bon Dieu ? Il est des hommes qui sont nés pour ne pas souffrir. Bédié en fait assurément partie. Puisque sauf quelques rares fois, notamment, en juillet 1977 (Houphouet-Boigny l’avait demis de ses fonctions de ministre de l’Economie et des Finances pour prévarications) et le 24 décembre 1999 qui marque le coup d’Etat qui lui fit perdre le pouvoir, nul n’a souvenance d’un malheur qui lui serait arrivé. Sur la question, ses proches pourraient éventuellement porter des témoignages plus disants. Mais le commun des Ivoiriens serait bien en peine de trouver une autre occasion qui aurait valu un quelconque pépin à l’ancien président du PDCI-RDA. Telle fut sa vie, quasiment lisse et sans aspérités. Cependant, comme tout humain, Henri Konan Bédié a posé des actes qui n’ont pas toujours été frappés du sceau de la grâce ou du bien. C’est notamment le cas de l’ivoirité de triste mémoire. Ce concept vénéneux et nocif qui éroda durement et durablement la cohésion nationale est sans doute l’écharde la plus profonde dans la bonne réputation que le défunt a pu se forger pendant sa longue existence. Ô certes, il s’en est défendu a posteriori, affirmant qu’elle visait à valoriser la culture ivoirienne.
Quid de la rhétorique ivoiritaire ?
Mais, quid de la rhétorique ivoiritaire développée par ceux qui en étaient les idéologues? Oui, qu’a-t-il dit lorsque l’un de ses ministres, Pierre Kipré, pour ne pas le nommer, a établi une « fiche signalétique » tendant à categoriser les Ivoiriens en « Ivoiriens de souche multiséculaire », en « Ivoiriens de seconde zone » et en « Ivoiriens de circonstances » ? Il n’a rien dit. Alors qu’il tenait là une formidable opportunité pour recentrer le débat et rabattre le caquet à ceux qui soutenaient que le fameux concept divisait les Ivoiriens. Or, c’est connu, qui ne dit mot consent. Bédié a donc cautionné les « inepties » de ses « suiveurs » qui ont donné un cachet discriminatoire à sa (douteuse) « trouvaille ». On peut le déplorer. Il y eut également l’épisode fort regrettable du Conseil national de la transition ( CNT) dont il fut l’inspirateur et le garant. Faut-il rappeler que cet organe (subversif) visait à remettre en cause l’ordre constitutionnel suite à l’élection présidentielle de 2020 que décida de boycotter l’opposition pour marquer la récusation de la candidature d’Alassane Ouattara dont elle avait fait son cheval de bataille ? Ce sont des faits intronquables et infalsifiables que personne ne peut édulcorer ou occulter. Ils s’imposent donc à la conscience collective. Ce faisant, en parler ne peut être considéré comme une faute ou une incorrection. Cela fait bien partie de la vie de l’illustre disparu.
Ces impairs n’altèrent rien…
Il n’empêche, ces impairs n’altèrent en rien le fait que l’ancien patron du vieux parti va quand même nous manquer. Parce qu’il avait fini par entrer dans le quotidien des Ivoiriens pour qui il avait pris les traits du gentil patriarche de qui l’on ne craignait rien. Au contraire, ses petites phrases frappées au coin de l’humour le plus mordant étaient plutôt prisées et faisaient leur bonheur. N’est-ce pas lui qui disait, avec cette faconde dont il ne se départissait guère, que « lorsqu’on parle, il faut avoir pitié des oreilles qui écoutent »? Il traitait aussi les journalistes avec qui il avait pourtant un bon commerce de « folliculaires hypocondriaques ». Ou certains de ses compatriotes « d’imbéciles heureux ». Et d’autres de « négateurs des évidences »… et bien d’autres amabilités de la même eau. Bédié, c’était l’homme hein, aurait-on dit à Treichville. Il nous laisse tous un peu orphelins.
René Ambroise Tiétié