Pourquoi est-il devenu aujourd’hui impossible de prononcer le mot polygamie sans qu’aussitôt le débat ne s’enflamme? La polygamie serait à éradiquer, ou autoriser, si l’on écoute certaines personnes. Or ce serait une hypocrisie si l’on feint d’ignorer son impact sur notre société.
Le débat sur la polygamie est donc lancé et va s’inviter prochainement à l’Assemblée Nationale. Une proposition de loi en complément de la loi n°2019-570 du 26 juin 2019 relative au mariage est émise par l’honorable Yacouba SANGARE. Cependant il souhaite que l’application de cette loi soit optionnelle. Le droit matrimonial pour la plupart des pays africains est calqué sur celui du colonisateur occidental sans vraiment tenir compte des réalités ancestrales traditionnelles. La double culture (africaine et occidentale) des africains et les réalités contemporaines à l’image de l’occident font que les avis sont partagés sur la question. En outre, les religions Abrahamiques sont au centre des paradigmes de la polygamie.
La polygamie est perçue comme le système matrimonial traditionnel le mieux enraciné en Afrique. Croire que tous les Africains sont polygames, est une erreur même s’ils sont enclins à la multiplicité des partenaires sexuelles par aspiration. Cependant, la polygamie semble résister à la modernisation des comportements urbains, même dans les pays qui l’ont légalement abolie comme le nôtre la Côte d’Ivoire. La multiplication des maîtresses, des « deuxièmes bureaux » conforte cependant l’idée selon laquelle les Africains sont tous polygames de fait, et l’adultère de l’homme reste très ambigu en droit.
En effet, d’autres femmes partenaires sexuelles des hommes mariés appelées communément « Deuxièmes bureaux ou Tchiza » est une pratique stigmatisée qui consiste à entretenir des femmes en plus hors du foyer conjugal. Il ne s’agit pas de polygamie à proprement parler. Devant cette situation ubuesque, certaines épouses acceptent plus facilement l’arrivée d’une nouvelle épouse officielle que l’existence d’une maîtresse, logée et entretenue de manière ostentatoire par leur conjoint.
Par ailleurs, d’aucuns se demandent pourquoi cet acharnement contre la polygamie? La polygamie serait-elle la mère de tous les vices, et la monogamie le garant de l’ordre moral et le fondement de notre société ? A partir du moment où toutes les personnes sont consentantes, trop d’amour nuirait-il? C’est un fantasme qu’il est temps de dénoncer. Apparemment, la monogamie serait liée à la religion chrétienne. Ce qui est contrariant, c’est que les premiers Chrétiens étaient polygames. Et que la polygamie n’est nulle part interdite dans la Bible. Dans le cadre du catholicisme, le divorce est mille fois plus problématique que la polygamie! Aujourd’hui ce sont les catholiques et les évangélistes qui condamnent la polygamie. La morale à cet égard n’est ni fixe ni universelle.
Et d’autres disent que la polygamie opprime la femme et elle est contraire à l’ordre public. Elle est aussi bien souvent le lieu de multiples conflits (conflits entre épouses, entre les enfants des différentes épouses, entre une épouse et ses enfants contre le mari et ses autres femmes et enfants, etc.). C’est de ces conflits qui parfois animent le quotidien de ces familles et des souffrances qui en découlent. Les relations qui y prévalent sont marquées par des tensions, sources de conflits permanents. La famille polygame est ainsi connue comme une structure sociale où les membres entretiennent des rapports difficiles et où la communication est constamment perturbée. Il est vrai que certains comportements au sein de ces familles attisent très souvent les mésententes entre ses membres. On y observe de la jalousie, de la compétition, des rivalités, de l’égoïsme, des règlements de compte directs. Ou par personnes interposées (les enfants surtout). Autrement dit, dans la famille polygame, c’est le rejet de l’autre qui mène au conflit. Cela empêche les membres de la famille de tisser entre eux des liens affectifs stables. Parfois, la famille se fige dans l’immobilisme ou s’engage dans une instabilité destructrice ; l’impasse et le chaos s’installent alors. Sur le plan psychologique les souffrances qui en découlent sont nombreuses.
Nous pouvons donc conclure que la polygamie est une forme d’organisation familiale parmi d’autres ; on ne peut la récuser en tant que telle, car elle se révèle efficace quand elle fait partie des modalités des parents et qu’elle est acceptée par les mères. La polygamie n’est pas le désordre ni le chaos qu’on a coutume de décrire ; elle est un mode d’organisation social, familial, affectif et économique, qui a sa propre logique protectrice envers ses membres, en particulier envers ses enfants.
Idriss DAGNOGO