L’Historien n’est pas le journaliste qui reste au milieu de l’incendie pour le décrire et suggérer à partir de son seul point de vue (l’endroit où il se tient pour observer) des conclusions sur le ou les pyromanes et l’impact du feu.
L’Historien n’est pas le politicien qui choisit de voir le verre à moitié plein ou à moitié vide suivant ses intérêts du moment.
L’Historien est ce chercheur qui travaille sur les faits passés afin de les rendre intelligents à la compréhension des évolutions actuelles.
Il est donc un témoin qui pour approcher le plus possible de l’objectivité qui est son point de mire, prend toujours une distance avec les évènements afin de cerner leurs contours. Cette exigence le pousse à voir d’abord la face cachée de la lune avant de décrire cet astre dans sa réalité.
Cette précaution devient imprescriptible en cas de guerre qui tue toujours en premier la vérité. La situation actuelle en Ukraine n’échappe pas à cette règle de la guerre qui tue en premier la vérité avant le premier soldat. Les médias mainstream nous donnent une lecture des évènements en Ukraine qui ne correspond pas avec celle que nous laissent entrevoir les faits.
En termes de faits, il faut commencer par rappeler et dire que les évènements en Ukraine comme tous ceux qui ont lieu ces dernières décennies dans l’ancien empire soviétique sont des soubresauts de la dislocation de l’URSS en 1991. La tête de file du bloc de l’Est n’a pas été vaincue dans une confrontation militaire dans le cadre des rivalités politiques et géostratégiques qui ont structuré les relations internationales entre 1947 et 1991, par celui de l’Ouest aiguillonné par les Etats-Unis.
L’Occident a crié victoire et proclamé la fin de l’Histoire, alors que la dislocation de l’URSS est plus liée aux conséquences économiques de la guerre de l’Armée Rouge en Afghanistan (Décembre 1979 – Février 1989) et aussi et surtout aux réformes entreprises par son dernier chef, Michael Gorbatchev. Faute d’avoir pu abattre la bête de son vivant, les Occidentaux s’acharnent sur son corps pour le dépecer, accrocher certaines de ses parties en trophée dans leurs salons et répandre leur modèle de société pour cacher ses cendres.
Cependant, avant de proclamer la dissolution de l’URSS le jour de Noel 1991, Michael Gorbatchev avait négocié et obtenu contre son approbation de l’unification de l’Allemagne, l’assurance des Occidentaux que l’OTAN ne s’étendrait jamais à l’Est sur le glacis de l’Union Soviétique.
Ceux qui mettent en doute l’existence de cette promesse se mettent dans la même posture que ceux avant eux qui affirment qu’Hitler n’a jamais signé de sa main un ordre pour ordonner le génocide des juifs, donc innocent de la Shoah ce qui est difficile à accepter.
Ces négationnistes sont cloués au pilori par les révélations de Jack Matlock, dernier Ambassadeur Américain en Union Soviétique et témoin oculaire des tractations entre Occidentaux et Gorbatchev. Dans son livre paru en 2010 sous le titre : ”Superpower Illusions: How Myths and False Ideologies Led America Astray – and How to Return to Reality”, le diplomate qui s’attèle à déconstruire la version occidentale de l’Histoire à travers ses mensonges et ses manipulations, donne des détails qui rendent inattaquable les affirmations sur la véracité de cette assurance donnée à Gorbatchev.
Il y a d’abord cet échange entre Gorbatchev et le secrétaire d’État américain, James Baker, au Kremlin le 9 Février 1990.
L’Américain dit : « Je veux vous poser une question à laquelle vous n’êtes pas obligé de répondre maintenant. En supposant que l’unification de l’Allemagne ait lieu, qu’est-ce qui est préférable pour vous : une Allemagne unifiée en dehors de l’OTAN, entièrement indépendante, sans troupes américaines, ou bien une Allemagne unie, qui maintient les liens avec l’OTAN, mais avec la garantie que ni la juridiction ni les troupes de l’OTAN ne s’étendront à l’Est de la ligne actuelle ? »
A cela le dirigeant soviétique répond : « Nous allons réfléchir à tout cela. Nous avons l’intention de discuter toutes ces questions au niveau de la direction. Il est entendu, c’est clair, que l’élargissement de la zone de l’OTAN est inacceptable. »
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Une semaine après (le 15 Février) un sondage auprès des Allemands qui venaient de faire tomber le mur de Berlin trois mois plus tôt indique que 58 % souhaitent une Allemagne unie et non alignée.
James Baker qui ne nie pas la véracité de cette conversation note cependant que pas « à l’Est de la ligne actuelle », il voulait parler des limites de l’Allemagne de l’Est (la RDA). A son soutien certains commentateurs font remarquer qu’en Février 1990, l’URSS existait toujours et personne ne pouvait prévoir sa dislocation au point de prendre des engagements quant à la gestion de son espace géographique.
Cependant, la demande de Gorbatchev réitérée en Mars et Mai 1990 porte sur une refonte des alliances militaires que sont alors l’OTAN et le Pacte de Varsovie. Cette préoccupation sera prise en compte à Londres les 5 et 6 Juillet 1990 lors du sommet de l’OTAN. Dans son allocution d’ouverture le secrétaire général de l’OTAN Manfred Wörner affirme : « La Guerre froide appartient à l’histoire, notre Alliance est en train de passer de la confrontation à la coopération. »
A l’issue dudit sommet, le Président Bush (père) avant même de quitter Londres écrit à Gorbatchev ces mots : « Il y a quelques heures, nous avons proclamé une déclaration qui promet la transformation de l’Alliance dans tous les aspects de son travail et, surtout, dans sa relation avec l’Union soviétique. Quand vous lirez la déclaration de l’OTAN, je veux que vous sachiez qu’elle a été rédigée en pensant particulièrement à vous. »
Le 16 juillet 1990 à travers un accord avec le Chancelier Allemand Helmut Khol, Gorbatchev donne son accord pour l’adhésion de l’Allemagne réunifiée à l’OTAN. En Mai 1995, le Président russe Boris Eltsine obtient du Président américain Bill Clinton un moratoire sur l’élargissement de l’OTAN jusqu’à la signature d’un acte fondateur sur ses relations avec la Russie.
Toute chose qui est faite le 27 Mai 1997 et permet le 8 Juillet de la même année à la Hongrie, la Pologne et la République Tchèque d’adhérer officiellement à l’OTAN. Ces adhésions déjà, constituaient un manquement aux assurances données à Gorbatchev même si cela ne concernaient que la frontière de l’Allemagne comme le prétend James Baker.
En 2004, un pas est franchi avec l’adhésion des trois Républiques Baltes Estonie, Lettonie, Lituanie qui formaient avec 12 autres Etats l’URSS. Le 10 Février 2007, la Russie affirme que l’expansion de l’OTAN à ses frontières est une provocation, toute chose qui n’empêche pas l’Organisation d’annoncer une année après en Avril 2008 que la Géorgie et l’Ukraine deviendront à terme membres de l’OTAN.
Dès lors, s’engage entre les Russes et les Occidentaux une compétition pour contrôler les gouvernements de ces deux pays majeurs de l’ex-URSS. De provocations en surenchères de part et d’autre, on arrive au coup d’Etat perpétré contre le Président Ukrainien Viktor Iouchtchenko le 22 Février 2014 ouvrant ainsi la boite de pandore.
En effet, tous les protagonistes vont actionner les leviers qu’ils possèdent en Géorgie et en Ukraine pour faire avancer leur agenda géostratégique. A suivre…..
Moritié Camara
Professeur Titulaire des Universités