La guerre en Ukraine continue ses ravages tous azimuts dans le monde. Suivons cette analyse du professeur Moritié.
Dans toute guerre il y a des guerres et pour Clausewitz : « la lutte entre deux hommes est l’image qui permet le mieux à la pensée de se représenter en un acte unique le nombre indéterminé de combats dont une guerre se compose. ».
Les intérêts mobilisés dans une guerre sont donc spécifiques tout en étant souvent solidaires mais jamais homogènes. Loin s’en faut. La guerre a donc une fonction sociale qui est plus prégnante aujourd’hui qu’elle ne l’a jamais été. Elle est donc à la fois la résultante de l’Histoire et sa fondatrice. Et qui mieux que les puissances impériales pour s’en servir comme levier de leur domination et instrument de la pérennisation de leur pouvoir sur les autres.
C’est la posture dans laquelle se place résolument les Etats-Unis depuis qu’ils ont pris le gouvernail du monde à la sortie de la Seconde Guerre mondiale.
La guerre en Ukraine qu’il n’est pas exagérée de dire au vue des faits qu’elle a été souhaitée, planifiée et encadrée par les Etats-Unis pour non seulement amener à composition une Russie qui ne saurait être l’incarnation de la défunte URSS, donner un aperçu à la Chine de ce qu’ils sont capables de faire pour protéger leurs intérêts stratégiques mais et aussi s’assurer de rester la puissance tutélaire de la planète et pour longtemps.
Cette dernière prétention est de plus en plus difficile à tenir dans la configuration actuelle du monde. La Chine Populaire qui compte célébrer le centième anniversaire de sa création en 2049 dans le fauteuil de première puissance économique, militaire et diplomatique semble capable de réaliser sa propre prophétie.
Cette volonté de domination est partagée, crime de lèse-majesté par une Union Européenne qui en 2020 en terme de Produit Intérieur Brut était la deuxième puissance économique du monde. Elle représentait en effet, 17,9 % du PIB mondial, derrière les Etats-Unis 24,7 % et un peu devant la Chine (7,4 %).
De ce point de vu, tout comme la Chine, l’Union Européenne représente un danger pour la pérennisation de l’Hégémonie américaine dans le monde. Cette guerre en Ukraine peut et doit servir également à briser la dynamique de croissance et surtout d’intégration de la puissance européenne. Cette attitude se lit aisément dans la posture des Etats-Unis vis-vis de l’évolution du projet européen.
On se souvient qu’une fois les armes ayant servi à animer de bruits et de cris la Seconde Guerre mondiale, se sont tues, ce sont les Américains qui ont accouru à travers le plan Marshall à sortir l’Europe de l’abime. Pour eux, une Europe stable, prospère et démocratique, constitue le gage de leur propre sécurité et prospérité. Les Etats-Unis encouragent donc les Européens à l’union économique et politique. La Communauté Economique Européenne (CEE) mise sur les fonts baptismaux en 1957 est regardée très favorablement à Washington.
Le président Kennedy dans son discours le jour de la fête nationale américaine le 4 juillet 1962 définit avec ses mots le « grand dessein », » de partnership atlantique : « Nous ne regardons pas une Europe unie et forte comme un rival, mais comme un associé (…) un associé avec lequel nous pourrons traiter sur les bases de l’entière égalité, dans toutes les grandes et lourdes tâches qui visent à construire et à défendre une communauté de nations libres ».
Dans l’absolu cela a été le cas jusqu’à la fin de la Guerre Froide durant laquelle les Européens conçoivent parfaitement le rôle des États-Unis comme première puissance du monde occidental. Après la disparition de la menace soviétique et devant une Russie plongée dans le coma durant un décennie (la décennie perdue du Magistère de Boris Eltsine), l’Europe transforme son projet purement économique à un projet d’intégration politique et social.
Avec le Traité de Maastricht signé en février 1992 et rentré en vigueur en Novembre 1993, la Communauté Economique Européenne, puis la Communauté Européenne devient l’Union Européenne et s’étend sur 4,2 millions de kilomètres carrés avec une population de plus de 400 millions aujourd’hui. Très vite la bienveillance américaine vis-à-vis du projet européen tourne à la méfiance et même à la défiance.
Une Union Européenne économiquement puissante au point de concurrencer les Etats-Unis sur ce théâtre crée une inquiétude au pays de l’oncle Sam. Les prémices de cette prévention remontent d’ailleurs aux années 1970 déjà, les Etats-Unis affichaient une balance commerciale déficitaire dans leurs échanges avec les pays de la Communauté Européenne, dont le PIB était d’ailleurs supérieur au leur. Le gouvernement américain dénonçait alors l’« Europe forteresse qui prospérait à l’abri de barrières tarifaires et règlementaires, tout en bénéficiant de l’ouverture de l’économie internationale ».
Les années 2000 seront ainsi témoins de guerres commerciales entre les deux blocs et de divergences profondes sur de nombreuses questions notamment : Agriculture, bananes, organismes génétiquement modifiés, acier, aérospatial ou encore sur les sanctions ou la défense antimissiles. Cette guerre commerciale amène les deux blocs à s’infliger réciproquement des milliards de dollars de pénalités en représailles économiques et douanières.
Devant cette velléité de révolte, les Américains passent à l’offensive pour torpiller le projet de cette « Vieille Europe », qui s’oppose notamment par la voix de la France à l’invasion de l’Irak en 2003.
C’est dans ce contexte qu’intervient le coup d’Etat orchestrée le 22 février 2014 par les Occidentaux contre le Président ukrainien Ianoukovytch jugé pro-russe. En réaction les pro-russes des régions du Donbass prennent les armes contre le gouvernement et la Russie annexe dans la foulée la Crimée en Mars.
Le 6 juin 2014 à l’occasion de la célébration du 70ème anniversaire du Débarquement allié en Normandie pour libérer la France et prendre à revers les troupes de Hitler, le Président français François Hollande réuni à l’Elysée avec la Chancelière Allemande Merkel, les Présidents Russe Poutine et Porochenko d’Ukraine un sommet pour évoquer les combats qui se déroulent depuis Février dans le Donbass. Le Président américain Obama présent dans la capitale française et briffer sur la tenue de cette réunion n’a pas souhaiter se joindre aux quatre dirigeants.
Cependant, il faudra attendre Trump pour que « la guerre « entre les Etats-Unis et l’Europe soit ouverte. Ce dernier lors de sa campagne encourage les Britanniques à sortir de l’Union européenne et une fois élu il retire concomitamment les Etats-Unis de l’Accord de Paris sur le Climat et de celui sur le nucléaire iranien. Deux instruments internationaux âprement négociés par les Européens. Une fois le Brexit acté, il s’en réjoui et assure les Anglais de la solidarité des Américains. Trump dénonce l’utilité de l’Otan organe de protection par excellence des Européens.
Dans un tweet le 25 Novembre 2018, il assène : « L’Europe doit payer sa part pour sa protection militaire. L’Union européenne, depuis des années, profite de nous pour son commerce, et ensuite ils ne sont pas à la hauteur de leurs engagements militaires à travers l’OTAN. Les choses doivent changer, et vite ». Assurément l’Administration Trump a mis en mal les fondements mêmes de la relation transatlantique.
L’Union Européenne se met donc à évoquer ouvertement l’objectif d’une « autonomie stratégique européenne » et cela depuis 2016. Cet élément de lange sera repris comme un mantra par presque tous les dirigeants européens.
Si la défaite de Trump a été souhaitée et vécue comme, un retour à une relation transatlantique privilégiée par les dirigeants européens, les stratèges américains gardent toujours en tête d’édulcorer les velléités de puissance de l’Union Européenne.
D’ailleurs malgré la victoire, le départ de Trump de la Maison Blanche, les principales divergences commerciales et stratégiques demeurent toujours d’actualité entre les deux partenaires. Dans le viseur des américains se trouve depuis le début de sa construction le gazoduc Nord Stream 2 qui doit acheminer du gaz de la Russie vers l’Allemagne de la mer Baltique en contournant l’Ukraine. Le 8 novembre 2021, un groupe de républicains du Sénat américain a déclaré qu’il avait introduit une législation qui imposerait des sanctions obligatoires au Nord Stream 2.
Malgré les pressions et menaces américaines, l’Allemagne de la Chancelière Merkel ne démordait pas et assurait vouloir poursuivre sa coopération avec la Russie sur le projet. Les Américains vont cependant finir par lui faire accepter de prendre des mesures si la Russie venait à utiliser l’énergie comme une arme dans le cadre de ses relations avec l’Ukraine. Cette même chancelière affirmait que l’Ukraine n’avait pas vocation à devenir membre de l’Otan.
Cependant après 16 ans, la Chancelière allemande qui était la seule à pouvoir contrer les projets américains en Europe cède le pouvoir le 8 Décembre 2021 à un successeur qui est très loin d’avoir sa poigne.
L’heure avait donc sonné pour les stratèges américains de déballer leur plan de guerre avec la Russie en instrumentalisant l’Ukraine pour affaiblir l’Union Européenne. Ce n’est donc pas un hasard si la Russie constate et dénonce une amplification des livraisons d’armes de l’Otan à l’Ukraine dès novembre 2021. ( A SUIVRE )
CAMARA Moritié
Professeur Titulaire d’Histoire des Relations Internationales