Une terre de migrations
La date de la première présence humaine en Côte d’Ivoire est difficile à évaluer car les ossements ne se conservent pas dans le climat humide du pays. Cependant, la présence de fragments d’armes et d’outillages très anciens (haches polies taillées dans des schistes, débris de cuisine et de pêche) découverts sur le territoire national est interprétée comme la possibilité de la présence d’hommes, en assez grand nombre, au paléolithique supérieur (-15 000 à -10 000 ans) ou au minimum, l’existence sur ce terroir, d’une culture néolithique.
Les plus anciens habitants connus de la Côte d’Ivoire ont toutefois laissé des traces disséminées à travers tout le territoire. Les populations arrivées avant le XVIe siècle sont aujourd’hui des groupes minoritaires ayant plus ou moins bien conservé l’essentiel de leurs civilisations. Ce sont les Agoua et Ehotilé (Aboisso), Kotrowou (Fresco), Zéhiri (Grand-Lahou) et Ega ou Diès (Divo). Mais le pays est surtout une terre de refuge et de migration qui reçoit, en provenance de la zone du Sahel, entre le XIe siècle et le XVIe siècle, les Mandé forestiers (Dan, Gban et Kwéni) mais également aux XIVe siècle et XVe siècle, d’autres groupes venus du nord (Ligbi, Numu et quelques clans Malinké), ce qui provoque quelques déplacements limités de populations plus anciennement établies (Krou sur la côte avant le XVe siècle et Sénoufo). Les XVIe siècle et XVIIe siècle consacrent l’arrivée au nord de plusieurs clans Malinkés (Keita-Binate, Kamagaté, Diomandé) et Sénoufo et au sud-est, des peuples en provenance de la basse vallée de la Volta (Efié, Essouma, Abouré, Alladian et Avikam). L’un de ces groupes akan (Abron) s’installe dans la région de Bondoukou à l’est du pays. Le XVIIIe siècle consacre les grandes migrations akan (Agni, Baoulé, Atié, Abbey, Ébriés, M’Battos, Abidji) dans le sud-est et le centre du pays ainsi que celle d’autres groupes malinkés (en provenance des rives de la Volta noire) et du sud des territoires actuels du Mali et du Burkina Faso. Ces migrations sont causes de conflits entre les populations, mais permettent surtout de tisser de nombreuses alliances politiques et matrimoniales ainsi que des parentés à plaisanterie.
Au contact de l’Europe
À l’initiative du prince Henri le Navigateur, les Portugais João de Santarém et Pedro Escobar découvrent le littoral ivoirien en 1470-1471 et jusqu’à la fin du XVIe siècle, les seuls Européens présents sur le littoral ivoirien sont portugais. Ils seront rejoints à la fin du XVIe siècle par les Hollandais, puis au XVIIe siècle par les Français et les Anglais. Ces Européens entretiennent des relations religieuses, parfois politiques mais surtout commerciales avec les populations du littoral ivoirien. L’abondance de l’ivoire donne à cette partie du territoire africain le nom de Côte de l’ivoire également appelée, à cause des relations difficiles avec les habitants, Côte des mal gens. Le commerce concerne divers produits tropicaux, mais il est surtout dominé par la traite négrière. L’esclave est le produit des guerres tribales, le fruit d’une mise en gage ou le résultat d’une décision judiciaire. Certaines personnes sont esclaves de naissance, héritant ainsi du statut de leurs ascendants. La traite négrière constitue au XVIIIe siècle l’essentiel des échanges entre les populations côtières et les marchands européens. La Côte d’Ivoire qui reste jusqu’au XIXe siècle, un espace de traite d’importance moindre comparativement au Bénin ou au Nigeria, subit également les conséquences négatives du phénomène dans les différentes sociétés. L’on enregistre de nombreux morts, une diminution de la natalité, la rapide diffusion d’épidémies et des famines qui n’épargnent ni les sociétés lignagères, ni les empires ou royaumes établis sur le territoire. La traite négrière strictement interne perdurera en Côte d’Ivoire jusqu’à la fin du XIXe siècle. La zone forestière est le siège par excellence de sociétés où l’autorité du chef de lignage s’exerce généralement au niveau d’une tribu. Elle connaît une mutation sociale significative caractérisée par la multiplication et le développement de diverses alliances d’où naissent des confédérations tribales, claniques ou régionales. Une telle évolution diffère du cheminement constaté au nord, dans les différentes branches du groupe sénoufo.
Conçu à l’origine sur un schéma proche des sociétés lignagères, le groupe sénoufo se constitue par la suite, peu à peu, en chefferies sur le modèle du « Kafu » malinké et se consolide pour faire face notamment à l’expansionnisme de l’empire de Kong. Les autres sociétés vivant au nord, mais également celles du centre et de l’est, se présentent de manière encore plus hiérarchisée avec une organisation confortée par le renforcement de pouvoirs monarchiques ou l’apparition de nouvelles structures traditionnelles de type étatique. C’est le cas du royaume Abron de Gyaman dont l’autorité s’étend sur de nombreux peuples de l’est du territoire (Koulango de Nassian, Goro, Gbin, Ligbi, Huela, Agni et Dioula de Bondoukou) et qui s’affranchit du pouvoir Ashanti en 1875. Après une période d’expansion, ce royaume est cependant affaibli par des dissensions internes qui le fragilisent face aux conquêtes de Samory Touré et à l’impérialisme européen. Le royaume du Sanwi tire le meilleur parti de ses relations avec l’extérieur et consolide son pouvoir sur les peuples du littoral du sud-est. La monarchie Baoulé est dominée par les Warébo et les Faafoué jusqu’à la dislocation de son unité après 1850, lorsque plusieurs groupes se constituent en entités indépendantes ou en nouvelles confédérations militaires aux contours plus ou moins précis. Dans le nord, les conquérants se multiplient mais sont tour à tour vaincus par Samory Touré qui soumet également tous les royaumes (Kong, Bouna, Koulango, Gyaman…) . Ces conquêtes et guerres tribales sont fortement exacerbées par la traite négrière qui accentue la déstructuration des systèmes politiques et sociaux traditionnels en raison notamment de l’apparition de nouvelles hiérarchies sociales constituées par des personnes qu’elle enrichit. Le XIXe siècle apporte ainsi de profondes mutations au niveau des organisations sociales traditionnelles et la création de nouvelles valeurs fondées sur la richesse, qui s’apprécie à la quantité de produits détenus (produits vivriers, cheptel, vêtements, poudre d’or, armes à feu) et au nombre d’individus sur lesquels l’autorité est exercée. Ainsi, les femmes, les enfants et les esclaves qui dépendent d’une même personne constituent pour celle-ci, non seulement des ouvriers agricoles et des défenseurs du lignage, mais également une possibilité d’accroissement des alliances avec les autres familles, par le mariage. L’abolition de l’esclavage en 1815 au Congrès de Vienne, réaffirmée en 1885 au Congrès de Berlin, ouvre la voie au développement de nouvelles relations commerciales entre les populations ivoiriennes et les nouveaux acteurs européens qui font leur apparition. En dépit d’une concurrence anglaise tenace et parfois l’hostilité des populations locales, des comptoirs français sont installés à Assinie et Grand-Bassam (Côte du Sud-Est) en 1843 et, en 1857, le fort de Dabou est édifié.
Naissance d’une colonie de la France
La France qui a l’ambition d’établir et de conforter sa puissance économique se lance dans la conquête de l’Afrique avec la campagne d’Algérie (1830-1847), mais aussi en réalisant la colonisation d’une majeure partie de l’Afrique occidentale et équatoriale, de l’Indochine, ainsi que de nombreuses îles d’Océanie. En Côte d’Ivoire, l’installation de l’autorité française est préparée par la signature de divers traités de protectorat, l’installation de comptoirs mais surtout par les missions d’exploration. La méconnaissance de l’arrière-pays ivoirien et la nécessité de contrer l’expansion du conquérant africain Samory Touré amènent les Français Édouard Bouët-Willaumez (1837-1839), Paul Fleuriot de Langle, Marcel Treich-Laplène 1887-1890), Louis-Gustave Binger (et, dans une moindre mesure, les Anglais Lonsdale (1882), Freeman (1888) et Lang (1892) à initier de nombreuses missions d’exploration. Le 10 mars 1893, un décret érige la Côte d’Ivoire en une colonie autonome et la France qui y est déjà représentée par Arthur Verdier (1878) puis Treich-Laplène (1886) en qualité de Résidents, désigne Louis-Gustave Binger comme Gouverneur avec résidence à Grand-Bassam. L’autorité française commence à s’instaurer dans l’ensemble du pays au moyen d’un système de quadrillage hiérarchisé qui comprend les villages, les cantons, les subdivisions et les cercles. Elle établit des liens de subordination à travers l’instauration de l’impôt de capitation, la prestation gratuite de travail (travail forcé), le service militaire obligatoire, l’application d’un code de l’indigénat et l’exercice d’une justice indigène . Pour sa part, l’Administration française doit procéder à la mise en valeur du territoire, à la mise en place de services sociaux de base et garantir la libre circulation des personnes et des biens . La résistance locale s’exprime dès la phase d’exploration(guerre de Jacqueville et de Lahou en 1890, guerre de Bonoua en 1894 et 1895, guerre en pays adioukrou en 1897 et 1898. Samory est par ailleurs contré et vaincu à Guéouleu (Guélémou) en 1898 et quelques années plus tard, pour asseoir rapidement et définitivement l’autorité de la France sur le territoire, le gouverneur Gabriel Angoulvant opte pour l’accélération forcée de la colonisation : « Je désire qu’il n’y ait désormais aucune hésitation sur la ligne politique à suivre. Cette ligne de conduite doit être uniforme pour toute la Colonie. Nous avons deux moyens de les mettre en pratique : ou attendre que notre influence et notre exemple agissent sur les populations qui nous sont confiées ; ou vouloir que la civilisation marche à grands pas, au prix d’une action… J’ai choisi le second procédé. »
De nouvelles résistances apparaissent notamment dans l’ouest forestier (siège de Daloa en 1906, siège de Man en 1908, siège de Sémien en 1911)ou chez les Akan du Sud (attaques des postes d’Agboville et d’Adzopé en 1910). Elles sont longues en pays Baoulé (1893-1912) , en pays Gouro (1907-1914)et en pays Lobi (1898-1920) . En dépit de quelques défaites françaises, toutes les résistances sont définitivement vaincues en 1920. Les chefs de la résistance sont tués ou déportés et les pertes en vies humaines sont importantes pour les populations locales[. Une nouvelle économie s’installe progressivement. De 1905 à 1930, des maisons de commerce dont le siège est en Europe (SCOA, CFAO, CCAF, Peyrissac)s’installent et réalisent la collecte des produits locaux et l’écoulement des produits importés.
De même, les Européens encouragés par la politique française et aidés par le recrutement pour des travaux forcés dans les plantations, développent des exploitations agricoles privées et notamment des plantations de café et de cacao à partir de 1930. Ces cultures d’exportation supplantent très rapidement les produits de cueillette (Kola, graines de palmes, bois, caoutchouc). Parallèlement, des infrastructures et des équipements sont réalisés pour soutenir l’exploitation économique. Le réseau routier se met en place et un chemin de fer est construit grâce au recrutement obligatoire des jeunes. Des écoles et des postes médicaux sont également ouverts. Cependant, cette option de mise en valeur de la colonie est freinée de 1930 à 1935 par la crise économique. Malgré de réels efforts du gouverneur Reste pour redresser l’économie, les séquelles de la crise restent présentes. Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale accroît les difficultés économiques et financières locales. Outre l’impôt de capitation, les prestations obligatoires se multiplient et les populations versent des « dons pour la défense de la Côte d’Ivoire et de la France ». Mais l’effort de guerre est surtout militaire avec des milliers de recrues mobilisées et envoyées sur les champs de bataille en Europe et en Afrique du Nord. Après la défaite de juin 1940, ce sont de nombreux volontaires ivoiriens qui s’engagent aux côtés du général Charles de Gaulle dans la Résistance.
En quête d’émancipation
Avant la fin de la guerre 1939-1945, les populations encore inorganisées commencent assez timidement une lutte pour l’émancipation politique, sociale et économique. Mais à partir de 1945, en Côte d’Ivoire comme dans toutes les colonies françaises d’Afrique, la vie politique s’organise en prenant appui sur la Conférence de Brazzaville. Les Ivoiriens participent à leurs premières élections municipales (Abidjan et Grand-Bassam) et législatives, les territoires d’outre-mer devant désormais, par décision de l’autorité coloniale, être représentés à l’Assemblée nationale constituante française. En dépit de l’opposition de l’administration locale, Félix Houphouët-Boigny se porte candidat en Côte d’Ivoire devant le collège des non-citoyens. Il devance son adversaire de plus de mille voix et, au deuxième tour le 4 novembre 1945, est élu député avec 12980 voix sur 31081 suffrages exprimés. À la seconde Assemblée nationale Constituante, il est réélu plus facilement au Parlement français avec 21099 voix sur 37888 suffrages exprimés. Plusieurs partis politiques (souvent soutenus par des syndicats) sont créés à partir de 1946. Ils sont de simples prolongements de la diversité des formations politiques de France ou la concrétisation de la liberté d’initiatives locales : Parti démocratique de Côte d’Ivoire (1946), Parti progressiste de Côte d’Ivoire (1947), Bloc démocratique éburnéen (1949), section ivoirienne de l’Internationale ouvrière (1946), section ivoirienne du Rassemblement du peuple français. La Constitution de la Quatrième République (France) et les lois anti coloniales (suppression du travail forcé, suppression du Code de l’indigénat ou extension de la citoyenneté française), sans changer véritablement le système colonial local, provoquent à la fois la colère des colons et la déception des populations colonisées qui durcissent leur lutte pour l’émancipation, à travers des actions de plus en plus violentes conduites par les partis politiques. La loi-cadre ouvre de nouvelles perspectives en Côte d’Ivoire par l’introduction de la décentralisation, l’autonomie interne des colonies et l’extension des pouvoirs des Assemblées territoriales. Elle instaure également un collège unique d’électeurs et le suffrage universel. La voie s’ouvre ainsi pour l’instauration, de prime abord, de la Communauté franco-africaine après le référendum du 28 mars 1958 puis, par la suite, pour l’accession de la Côte d’Ivoire à la souveraineté internationale le 7 août 1960.
Source : @bidj@n.net