HAMED BAKAYOKO ET « LES PIQUES »
Un cercle comprendra avant explication. « Les piques », c’est toutes les formes de truanderies et d’escroqueries dirigées vers Hamed Bakayoko par ses proches, ses collaborateurs, des inconnus, des personnes dans le besoin, des personnes haut placées.
Hamed aimait aider et toute la Côte d’Ivoire et je dirais l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale le savaient. Donc tout le monde en profitait. Il recevait tonnes de sollicitations, qui apparemment ne l’épuisaient pas. Il en avait fait un mode de vie, qui finissait par déranger et par forger certaines opinions à son encontre. L’argent et la notoriété, la position politique et l’argent, ça peut faire des ravages.
Mais pour Hamed, c’était une autre forme d’existence. Les escrocs le savaient qui ont envahi son espace. Certains inventaient des histoires abracadabrantes pour attirer sa sensibilité. J’en ai entendu des historiettes extraordinaires. De toute mon existence, je n’en avais jamais autant entendu.
Certains imaginaient que nous les proches d’Hamed Bakayoko, nous baignions dans une marre d’argent. Et pourtant. Les gens à l’extérieur escroquaient Hamed plus facilement, mais à l’intérieur, il fallait être très ingénieux. Je me rappelle qu’un ami d’enfance a sollicité de ma part plusieurs millions pour achever la construction de sa maison. Je lui dis que je ne dispose pas de ces moyens. Il me regarde dans les yeux, profondément déçu et me dit : « Tu travailles avec Hamed Bakayoko, non ? ».
« Les piques », c’était toutes les formes d’histoires pour qu’Hamed donne de l’argent. Le plus étonnant, c’est que des personnes théoriquement socialement aisées s’étaient engouffrées dans la faille du cœur. Elles aussi tournoyaient autour de lui.
Hamed a été surpris, une fois, qu’un de ses proches plutôt aristocrate le sollicite pour un montant. Il ne sait pas toujours dire non. Il laisse cette besogne aux autres et souvent à moi, au bureau. Je fais appeler ce proche à mon bureau et lui passe ce message de la part d’Hamed :
-« Il est désolé, il a eu trop de dépenses ces temps-ci. Il dit qu’il ne peut vous donner que cette somme, qui est la moitié de ce que vous avez demandé. Mais il dit que c’est un prêt. Prenez cette feuille et signez une reconnaissance de dettes »
-«Ah bon ? C’est Hamed qui vous a dit de me dire ça ? »
-« Oui », lui dis-je en poussant la feuille blanche et le stylo devant lui.
Il hésite. Je récupère l’enveloppe et je lui dis :
-« Si vous voulez, je peux prendre un rendez-vous pour vous, il va vous expliquer lui-même et vous remettre peut-être la totalité de ce que vous avez demandé »
-« Non, non, ce n’est pas grave. Donnez-moi l’argent. Je vais signer ».
Il fourre l’enveloppe dans la poche interne de sa veste, prend le stylo, réfléchit à la façon d’écrire la reconnaissance de dette, tourne le style entre ses doigts. Au fond de moi, je pense en français ivoirien :
« Tchai, faut signer papier-là on va quitter ici ! C’est toi qui viens escroquer ton ami et tu cherches dignité ».
Apparemment, il n’a jamais signé de reconnaissance de dettes. Je lui dicte et il écrit chaque mot. Nous, quand on était élèves, on a tellement signé de reconnaissances de dettes auprès du Mauritanien du quartier (on appelait cela à l’époque « signer bordereau ») qu’on connaît toutes les formules de reconnaissance de dettes par cœur, avec les petites subtilités de dates d’échéance et de signatures qu’on va remettre en cause plus tard.
Je dicte et il écrit. Quand il finit d’écrire, il met ses petites lunettes, il soulève la feuille et il la relit. C’est quand même bizarre, il écrit sans lunettes mais a besoin de lunettes pour relire sa propre écriture. J’ai un petit sadisme à observer son embarras. Les gens exagèrent. Comme on dit que votre ami est généreux, vous vous sentez obligés d’en profiter.
Il me remet la reconnaissance de dettes dûment signée et datée. Je relis. Je lui demande d’écrire exactement tout son nom tel que cela figure sur sa carte d’identité. Il le fait. Je reprends la feuille, je fais une photo Whatsap et j’envoie au Ministre d’Etat.
Nous seulement, ce Monsieur n’est plus revenu à l’échéance de la dette, mais il n’a plus fait de requête. Comme disent les jeunes Ivoiriens d’Adjamé : « Ca t’a loupé ! Viens escroquer ton ami demain encore ! »
Une autre fois, Hamed m’appelle au téléphone. Il me dit de recevoir un ami Député qui a un message urgent pour lui, comme il était occupé hors du bureau. Une heure plus tard, le Député arrive à mon bureau et je lui demande l’essence du message urgent :
« Je dois faire partir ma famille en vacances aux Etats-Unis. J’ai besoin d’argent pour le billet et pour le séjour ».
C’est ça l’urgence ?
Je tombe des nues. Il y a vraiment des gens qui n’ont pas de problème à Abidjan.
Une autre fois, Hamed est en meeting au Palais des Sports à Treichville. Dans la foule, il choisit deux jeunes gens, une fille et un garçon :
« Je veux transformer leurs vies », me dit-il.
Le garçon est un jeune qui présente toutes les tendances d’un garçon distrait, peu concentré sur les choses essentielles et qui aime paraître. Une opportunité lui a été offerte où il est à ce jour. Il vient présenter des membres de sa famille. D’autres opportunités leur sont offertes par Hamed.
Quant à la fille, elle présente un projet de vente de poissons congelés dans un marché de Yopougon. Le projet est entièrement financé. Quelques mois plus tard, elle annonce faillite et liquide l’équipement. Hamed demande qu’elle présente un autre projet. Elle s’amène avec un projet farfelu de boutique de cosmétiques, le projet est financé, mais elle fait encore banqueroute. Elle revient. Hamed veut transformer sa vie. Mais elle refuse de se transformer elle-même. Nina Carole, l’Assistante d’Hamed me dit : Avec ses longues mèches colorées et ses lentilles de contact vertes dans les yeux, je crois que c’est plutôt un bar qu’elle peut gérer ! ».
Je dis au Ministre d’Etat : « On ne peut pas transformer quelqu’un en homme d’affaires du jour au lendemain. Soit on lui fait suivre une formation avant d’accompagner ses projets, soit on lui trouve un emploi de salarié dans une boîte privée. »
Nous étions obligés de jouer les méchants parce que ces intrusions de sollicitation sociale souvent non nécessaire pouvaient perturber le travail de Cabinet. Et ceux qui le sollicitaient étaient très insistants, convaincus qu’Hamed avait laissé d’immenses sommes pour eux que nous refusions de leur donner.
Je me souviens d’un quidam qui a envoyé ce message à Hamed : « Etoile d’Etat, tu as bon cœur. Mais tes collaborateurs vont te perdre !! Ils refusent de nous donner l’argent que tu leur as remis pour nous !».
Des flatteurs, des zélateurs, des affabulateurs, des arnaqueurs mais également des personnes dans de vrais besoins vitaux lançaient des piques pour recevoir leur part de générosité.
Un jour par un temps libre, je me renseigne auprès des proches « sociaux » d’Hamed et de quelques cousins chargés des affaires de Séguéla, ainsi que ceux qui suivent les personnes en difficulté sociale pour son compte à Abidjan. Ce n’est pas mon travail. Mais la vie politique et sociale du Ministre d’Etat s’invitait nécessairement dans le travail de Cabinet et il fallait tenir compte de certaines réalités pour mieux se concentrer sur le vrai travail. Je retrace ses dépenses privées, ses dons et contributions à des personnes sur 6 mois.
Un jour qu’il est étendu dans son canapé et sans stress, par conséquent, sans risque de colère, je rentre dans son bureau et lui présente le point de mes recherches et la reconstitution de certains actes de charité.
Hamed est choqué. Il se lève du canapé, lit chaque détail de ses dépenses et secoue la tête. Il passe un coup de fil à son Conseiller Technique Ouattara Aboubakar., dont il était proche. Je crois que c’est de ce jour qu’il a pris la résolution de faire des dépenses sociales plus structurantes, dont le Lycée d’Excellence des Jeunes Filles de Séguéla.
Lorsqu’il est devenu Maire d’Abobo et qu’il parcourait les rues de la Commune où des familles luttaient pour assurer leur pitance quotidienne, il a réalisé combien de petits appuis sociaux pouvaient réellement transformer la vie des gens sérieux.
A partir de 2019, il a commencé à moins dépenser dehors…
HEY ALLAH !!!!
Il y avait un autre collaborateur externe d’Hamed Bakayoko très sérieux et non fonctionnaire . Mais il avait le mauvais rôle. C’est lui qui était chargé des finances personnelles du Ministre mais également de ses gestes de générosité. Par conséquent, il était exposé à toutes les critiques et accusations. Hamed avait confiance en lui, moi aussi. Il était rigoureux, organisé et d’une nature simple, mais émotionnellement fragile. Il avait pris tellement de coups d’anonymes de la ville, de ses collègues, il avait tellement été stressé qu’il avait le regard livide.
Un jour, Hamed est déjà sous une pression, donc agité. Et quelqu’un l’appelle au téléphone pour lui dire qu’il n’a pas encore reçu l’aide financière promise, or entre la décision d’aider et le moment de la mise à disposition des finances, il peut s’écouler des jours et souvent des semaines. Les Proches d’Hamed ne le savent pas.
Quand l’appel arrive, Hamed est déjà agité par une situation. Il appelle Coulibaly à son bureau : « Toi-là, tu es obligé de voler mon argent ? Attends-moi, je vais te tuer aujourd’hui !!! » . Le jeune paniqué s’écrie : « Hey Allah !!! » et commence à pleurer.
Il est encore vivant aujourd’hui….
Extrait de: HAMED. BAKAYOKO : une Étoile dans la nuit