En écrivant cette belle œuvre satirique, Amadou Koné, l’auteur des « Frasques d’ Ebinto » ne s’est point trompé. Il a tellement vu juste que cette œuvre a transcendé le temps pour être toujours d’actualité. En la revisitant, on se rend tout de suite compte que, si la race des premiers personnages qu’il y dépeint comme les blakoros prospère toujours, elle vient de s’enrichir de nouveaux membres qui nous mettent sous la coupe de leurs pouvoirs.
Notre pays, pour son malheur, est tombé, depuis un certain temps, sous le charme de mystificateurs qui ont pris le contrôle de son destin. Et, dans ces séances d’hypnose collective auxquelles aucun d’entre nous n’échappe, notre esprit critique a fait place à celui du divertissement.
Ainsi, dans un pays où, l’accessoire devient le principal; dans un État où la culture de l’endosmose abusive de l’assertorique dans l’apodictique de la raison, devient une norme nationale, grâce ou à cause de la télévision et des réseaux sociaux ; est-il possible d’espérer autres choses que d’être soumis au pouvoir de ces nouveaux blakoros, que, par euphémisme, on appelle influenceurs ? Que peut espérer gagner un pays en grandeur si, à longueur de journée, la promotion des contre- valeurs est érigée en modèle ?
Nos chaînes de télévision sont devenues de puissantes vitrines de propagande de la médiocrité. Elles sont devenues le cimetière de la réflexion et des débats d’idées qui font émerger un pays. Avec elles, nous avons emprunté le chemin de l’émergence abrutissante.
Les sujets essentiels qui impactent la vie des populations sur les plans politique, économique et social ont été recouvert d’un voile noir pour faire place à des sujets tels que : Dubaï, Maracana, Jésus baoulé et maintenant, Jonathan Morisson. Et, comme des moutons de panurge, tous, nous nous engageons dans ces délires pour en faire l’essentiel de nos préoccupations.
Quid des problèmes liés à l’éducation, à la cherté de la vie, aux questions de santé, à la conquête de notre souveraineté et notre dignité confisquées. Personne, pas même les hommes politiques n’y prêtent attention. Eux qui ont fait le choix, à travers la politique de porter la voix du peuple et ses aspirations, sont, eux aussi désormais sous l’influence des nouveaux blakoros.
Fête de passeport, débats autour d’une enveloppe pleine ou vide, sondage sur la popularité de tel ou tel autre leader sont devenus pour eux, ce que l’on appelle dans les milieux des luttes politiques, la contradiction principale.
Comment, dans un tel contexte et un tel environnement, ne pas soutenir Assalé Tiemoko qui, dans un exceptionnel moment de lucidité, se demande, à quoi servent nos députés. On peut même à sa suite dire tout simplement, à quoi servent tous nos hommes politiques ? Tous et toutes étant à la recherche d’une trajectoire personnelle, il n’y a aucun doute qu’ils sont, eux aussi, des blakoros. Leur seul objectif étant de se remplir les poches pour asservir le peuple.
Mais à la réalité, tous ces faits qui en apparence n’ont aucun lien entre eux, ne sont-ils pas une mise en scène insidieusement orchestrée par les tenants du pouvoir pour nous maintenir pour longtemps encore, sous le pouvoir des blakoros ?
C’est une stratégie qui a fait ses preuves sous Juvenal dans la Rome antique. Et si elle porte des fruits pour un temps, elle a ses limites. Car, elle porte également en elle, les germes de sa destruction. Et le peuple, un jour, se réveille pour y mettre fin.
Henri César Sama, ancien ministre de la communication de Côte d’Ivoire