Les relations entre l’Afrique et le Etats-Unis vont connaitre une autre tournure. Le 27 avril 2022, la Chambre des Représentants des Etats-Unis a adopté à la quasi-unanimité (419 voix contre 9) la loi portant le numéro et le titre HR7311 Countering Malign Russian Activities in Africa Act.
Cette loi qui devrait sans opposition être votée par le Sénat, exige expressément lorsqu’elle sera mise en œuvre que le Ministre des Affaires Etrangères des Etats-Unis élabore et soumette au Congrès une stratégie et un plan portant sur « les efforts entrepris par les États-Unis pour lutter contre l’influence et les activités malveillantes de la Fédération de Russie et de ses supplétifs en Afrique ».
Cela en soi n’est pas à condamner dans un monde basé sur une compétition sans trêve entre différents acteurs pour protéger et/ou faire prospérer leurs intérêts et agendas politiques ou stratégiques. En cela l’Afrique au vu de ses immenses ressources est un enjeu stratégique et même vital pour certaines puissances et cela est également connu de tous.
C’est donc de bonne guerre que les Etats-Unis veuillent contrer l’influence d’un rival dans la course mondiale pour s’accaparer les ressources de l’Afrique.
La Chine étant devenue en seulement deux décennies le principal partenaire de l’Afrique en matière de commerce et d’échanges économiques, l’Union Européenne a mis récemment 150 milliards d’Euros dans la balance pour essayer de stopper son influence grandissante sur ce continent au détriment des pays comme la France, la Grande-Bretagne et la Belgique qui y avaient constitué des chasses-gardées, des pré-carrés, des dominions et autre Etats-relais.
Les Etats-Unis qui ne comptent pas agir de la même manière que les européens, décident à travers cette loi, comme au temps des attaques de diligences dans le far west, d’envoyer rien moins qu’un shérif pour y imposer leur ordre.
Cela devrait en temps ordinaire inquiéter les européens qui conformément à l’esprit de la doctrine Monroe de 1823 s’étaient vus «attribuer » l’Afrique dans la distribution internationale. Mais la guerre en Ukraine et le manque évident de leadership sur le continent européen autorisent les américains à rebattre seuls les cartes.
Au demeurant, les puissances européennes dont l’influence se réduit comme peau de chagrin en Afrique et qui peinent désormais à y fonder l’Histoire, espèrent dans l’absolu tirer bénéficie de la stratégie autoritaire des Etats-Unis dans la sauvegarde de leurs propres intérêts. Qu’à cela ne tienne donc !
Cependant la genèse et surtout les éléments avancés dans cette loi extraterritoriale (comme les lois Helms-Burton et d’Amato-Kennedy) ne manquent pas de piquer au vif lorsqu’on est africain et instruit de l’Histoire du continent noir et des aspirations légitimes et actuelles de sa jeunesse.
En effet, la loi a été initiée dans une logique bipartisane par le président démocrate de la Commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, l’Afro-Américain Gregory Meeks et le républicain Michael McCaul, membre de la Commission à la suite du vote de la résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies sur la condamnation de l’invasion russe de l’Ukraine le 3 mars 2022.
Bien que 27 pays africains aient voté en faveur de ladite résolution, un (l’Erythrée) a voté contre, 17 se sont abstenus, et 8 ont refusé de se présenter dans la salle du vote.
Proportionnellement aux autres régions du monde, un plus grand nombre de pays africains n’ont donc pas soutenu la résolution qui condamne la Russie et cela est resté au travers de la gorge de la représentante américaine aux Nations Unies, l’Afro-Américaine Linda Thomas-Greenfield une diplomate expérimentée qui hante le continent africain depuis 1983.
Elle a affirmé à l’issu du vote avoir personnellement fait pression sur les membres africains du Conseil de Sécurité à savoir le Kenya, le Gabon et le Ghana afin qu’ils votent la résolution et ne comprend pas l’attitude de ceux qui se sont abstenus ou ont refusé de venir à l’Assemblée Générale.
Aux récriminations de la diplomatie américaine, le président sud-africain Cyril Ramaphosa, a répondu : « Les pays les plus puissants ont tendance à utiliser leur position de membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies pour servir leurs intérêts nationaux plutôt que les intérêts de la paix et de la stabilité mondiales ».
Il est donc évident que sur cette question, l’Afrique ne compte pas se laisser instrumentaliser. Il fallait donc aux américains utiliser les grands moyens à travers cette loi qui ne laisse aucun choix aux africains que celui de soutenir le camp Occidental ou de subir de graves représailles.
En effet, cette loi dont l’enjeu est de « préserver les ressources africaines dont les Etats-Unis ont et auront besoin », enjoint au Secrétariat d’Etat américain de faire une évaluation régulière de l’ampleur et de la portée de l’influence russe en Afrique qui y compromettent les intérêts américains et surtout d’identifier les Etats et personnes qui contribuent à promouvoir cette influence afin que ces derniers subissent des représailles.
Les américains dénient ainsi aux africains la capacité et la liberté de déterminer eux-mêmes leurs intérêts et ceux qui sont à mêmes de les aider à les promouvoir. C’est pourtant au nom de ces principes qu’ils arment les ukrainiens pour se battre contre la Russie.
La loi demande que soient identifiés « ceux qui manipulent » les opinions publiques et les politiques en Afrique et parmi les groupes de la diaspora noire à travers le monde.
Il est donc désormais interdit à tout africain, dirigeant ou simple citoyen de manifester en public une quelconque sympathie pour la Russie et ses actions.
Pour bien se faire comprendre, le Département d’État américain doit se poser en contremaître qui comme dans les champs de coton et de canne à sucre doit veiller à ce que les choses se fassent correctement selon les ordres du maître.
L’Afrique devrait en plus être reconnaissant à son fils perdu le député Meeks, pour qui, il s’agit avant tout de «protéger les États fragiles d’Afrique ».
L’Afrique berceau de l’Humanité doit aux yeux de beaucoup notamment les rédacteurs de cette loi, toujours resté dans son berceau, et ne jamais prétendre exercer une quelconque souveraineté sur des ses propres ressources.
Cette loi autorise donc les Etats-Unis et par conséquent à s’engager, à investir et à contrôler (oui contrôler) des secteurs stratégiques en Afrique, tels que l‘exploitation minière et autres ressources d’extraction.
La nature des sanctions qui seront appliquées aux gouvernements, fonctionnaires et influenceurs africains qui contreviendront aux dispositions de cette loi, garantie avant même son entrée en vigueur son efficacité.
Il s’agit du gel des avoirs de ces derniers et de leur interdiction d’entrer aux Etats-Unis.
Lorsqu’on sait que pour la seule année 2020 se sont selon la CNUCED, plus 88,6 milliards de dollars, soit 3,7 % du PIB de l’Afrique, qui ont été illégalement transférés hors du continent africain par ses élites, on se dit que les américains savent où frapper pour se faire entendre et surtout obéir. En outre, un séjour en Europe ou en Amérique constitue pour beaucoup la preuve qu’ils sont « quelqu’un ».
Ceux qui s’opposent au sort que les Etats-Unis réservent à l’Afrique n’ont donc qu’à bien réfléchir avant. Les porte-flingue locaux des intérêts étrangers sur le continent noir qui sont continuellement en représentation d’eux-mêmes pour attirer l’attention et montrer leur loyauté feront marcher à plein régime la machine à délation pour indiquer au shérif la cachette des contrevenants aux ordres afin qu’ils soient capturés et amenés.
La loi prévoit comme lot de consolation, un engagement des Etats-Unis pour la démocratie et l’Etat de Droit en Afrique. Rien de nouveau dans ce domaine. Depuis le discours de la Baule en juin 1990, l’ombre ne s’est toujours pas faite humaine.
En conclusion l’Afrique passera avec ressources et intentions de chasse-gardée des européens en une colonie d’exploitation des Etats-Unis.
Les représentants de commerce des métropoles européennes sur le continent devront se convertir en contremaitres des américains et cela au plus vite. La loi ne laisse en effet que 180 jours au Secrétaire d’Etat dès son vote par le Senat pour proposer au Congrès des mesures concrètes à mettre en exécution.
Les panafricanistes et autres activistes qui rêvent d’une libération et d’une indépendance prochaine de l’Afrique devront faire le deuil de leur prophétie ou accepter d’en payer le prix fort.
CAMARA Moritié
Professeur d’Histoire des Relations Internationales