Le professeur titulaire d’Université, Camara Moritié nous éclaire sur la portée des sanctions attribuées au Mali dans le cadre de la détermination du calendrier de la transition militaire.
1. L’Economie malienne est essentiellement basée sur l’agriculture qui occupe plus de 72% de la Population active. Elle ne peut donc être étouffée que si elle n’arrive plus à exporter ses productions agricoles. Les sanctions ont échoué à impacter les importations du Mali du fait de la disponibilité des ports de Nouakchott et de Conakry et aussi d’Alger.
2. Il ya très peu d’industries au Mali, ce secteur occupe à peine 7% de la population active. Le Mali importe donc la quasi-totalité de ses besoins en produits manufacturés venant essentiellement de ses voisins. Avec les sanctions votées par ses derniers, c’est comme si un paysan incendiait le marché où il vend sa production. Plus prosaïquement, cela revient à se tirer une balle dans le pied.
3. Le soutien financier de la diaspora malienne (plus de 4 millions de personnes vivant à l’étranger) dépasse les sommes cumulées de l’Aide Publique au Développement et des investissements directs du pays. Les autorités qui ont une grande conscience de cela, ont créé un Ministère des Maliens de l’extérieur qui est un Ministère important dans tous les gouvernements depuis 2004. Cette manne qui s’élevait à plus d’un milliard de dollars en 2017 soit 7 % du PIB est sous-évaluée car ne prenant pas en compte les flux transférés par les canaux informels.
-Ce qui a surtout échappé à la CEDEAO qui comptait avec ses sanctions affamer le peuple malien afin de l’amener à se révolter contre les colonels est que 80 % de ces fonds vont directement aux familles pour leurs besoins sociaux, 15 % au développement communautaire et seulement 5 % pour les investissements productif.
-La diaspora a donc suppléée efficacement comme elle le fait depuis toujours le gouvernement qui au final n’a été tracassé que par les opposants connus qui sont parfaitement dans leur rôle qui d’ailleurs a été circonscrit ces derniers mois à sa proportion congrue face au large soutien populaire dont bénéficie les autorités militaires.
3.Le taux de bancarisation élargi (TBE), qui évalue le pourcentage de la population adulte titulaire de comptes dans les banques, les services postaux, les caisses nationales d’épargne et le Trésor d’un pays, est parmi les plus faibles de l’UEMOA dans un pays où les populations prises dans leur ensemble possèdent plus d’actifs que l’Etat.
-La majorité de l’argent qui habite ou circule dans le pays, le fait en dehors des circuits officiels, donc hors d’atteinte des sanctions sur les Banques ou institutions financières. Les systèmes alternatifs comme les tontines par exemple attirent plus de curieux que les banques.
Tous ces éléments sont pris en compte dans les statistiques annuelles de la BCEAO, donc facilement accessible à la connaissance de n’importe qui.
La question est donc : Pourquoi ces éléments semblent n’avoir pas été pris en compte par la CEDEAO dans la définition de ses sanctions qui visaient à conduire les jeunes militaires maliens à composition ?
A moins que l’association régionale ait choisi de privilégier l’effet d’annonce donc psychologique des sanctions sur les populations à leur réelle efficacité.
Tout compte fait, les sanctions semblent avoir plus impactées négativement les économies des pays qui les ont concoctées que celle du Mali dont les autorités ont su savamment les utiliser pour se donner une légitimité populaire indéniable.
En effet, dans un rapport, les Nations Unies affirment : « Les sanctions prises par la CEDEAO après les putschs en Guinée, au Mali et au Burkina Faso ont sévèrement affecté certains secteurs et empiré les conditions de vie des pauvres en Afrique de l’Ouest ».
Ce rapport parle de la situation des populations de l’Afrique de l’Ouest et non spécifiquement de celles des pays concernés. Toute chose qui explique la démarche des operateurs économiques sénégalais qui ont sommé leur Président de plaider pour la levée des sanctions contre le Mali qui a mises leurs activités en berne depuis plusieurs mois.
Aujourd’hui, il est question de les lever. A Adjamé on dira « Tout ça, pour ça !)
Dans un monde globalisé, les sanctions impactent tous les protagonistes. C’est peu comme si le juge, emprisonnait le délateur, le dénoncé et les badauds pour leur implication solidaire à la commission d’un crime. Les sanctions occidentales contre la Russie fonctionnent de la même manière.
Le temps semble venu pour la CEDEAO d’écouter les maliens (ce qui depuis le depuis de cette affaire n’a pas été le cas) afin de les aider à fonder leur propre Histoire comme les y autorise le Droit International et le principe cardinal des Nations Unies qui est le droit de tout peuple à disposer de lui-même. Sans rancune!
Camara Moritié, Professeur titulaire d’histoire. Université Félix Houphouet-Boigny