Tout se passe comme si tout s’était passé juste hier. Notre présence au domicile des Yobouet semble avoir réveillé le souvenir douloureux d’il y a 5 ans : la mort par balle de leur fils et frère, Yobouet Assui Yao Junior Ulrich qui était étudiant en 6ème année de médecine en Guinée (Conakry). Peut-être parce que, le monde autour d’eux regarde ailleurs. La voix étreinte, Madame Yobouet Agathe Clémentine nous explique sa double douleur.
Enseignante et chef d’établissement de son état, Madame Yobouet Agathe Clémentine se serait attendue à tout ; sauf à ce que sa progéniture, Junior quitte si brutalement le monde des vivants. Pourtant, le 6 décembre 2017, l’étudiant inscrit en 6ème année de médecine, membre du bureau des étudiants ivoiriens en Guinée (Conakry) est atteint mortellement par une balle dans sa chambre.
Tous les témoignages recueillis sur les lieux convergent. Le jeune homme est décédé suite à une balle tirée par un policier assis dans la cabine arrière d’un véhicule de transport de fonds : Burval. Ce jour-là, le véhicule en question serait venu récupérer les fonds d’une station-service, Total, dans le quartier de Hamdallaye. Personne ne sait ce qui s’est passé, mais, le quartier a entendu des tirs. Des tirs de sommation provenant justement du fourgon de Burval, selon les témoins oculaires. La scène fût brève. Affolées, les populations du quartier s’interrogeaient encore. Lorsqu’elles apprirent qu’une des balles tirées était allée se loger dans la tête de Yobouet Assui Yao Junior Ulrich. L’étudiant était dans sa chambre. La balle est passée par sa fenêtre. Elle a rebondi sur une des barres de l’antivol. Brisé l’une des vitres de la fenêtre. Pénétré le crâne de l’étudiant.
Une de ses amies qui s’inquiétait de ne pas le voir après l’incident des tirs se rend dans sa chambre. C’est elle qui découvre Junior étendu dans une mare de sang, l’âme encore présente. Elle alerte les autres amis. Et avec l’aide d’un voisin véhiculé, ils transportent l’infortuné vers l’hôpital IGNACE DEEN de Conakry. Un hôpital où officiait déjà le jeune futur médecin. Les médecins tentent de lui extraire la balle du crâne. Mais, le pire arrive. Yobouet Assui Yao Junior Ulrich décède.
Sa mère explique qu’elle a eu « le cœur fendu » lorsqu’elle a appris la mort de son Junior. Aidée de parents, du personnel de l’ambassade de la Côte d’Ivoire en Guinée et surtout des étudiants, ivoiriens et guinéens, amis de leur fils, la famille de Junior fait le nécessaire pour l’enterrer dignement.
Mais, là où le bât blesse, c’est qu’après tout ça, la mère qui souhaite que toutes les circonstances soient élucidées autour de la mort de son fils. Que le ou les coupables soient clairement identifiés et traités comme tels. Que la famille de Junior soit dédommagée à hauteur de la perte qu’elle a subie. La bonne dame, veuve et seule à élever ses enfants, se heurte à un mur. Ni l’Ambassade de la Côte d’Ivoire en Guinée, ni le ministère des affaires étrangères, pas même celui de l’intégration africaine, ne semble lui prêter oreille. Cela dure depuis 5 bonnes années. L’argument : « c’est une affaire civile », lui lance-t-on par endroit. On lui conseille de s’adresser à des avocats.
Toutefois, il faut le préciser, dans le feu de l’action, nous raconte-t-elle, la famille a reçu la visite de l’ambassade de la Guinée en Côte d’Ivoire. L’ambassadrice d’alors était venue aider la famille à enterrer le jeune homme avec une enveloppe de 4 millions de francs Cfa. Le président de la république de Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara avait, lui, donné 1 million de francs Cfa. Et le ministère de tutelle de la mère, le ministère de l’éducation nationale avait participé à hauteur de 500 000 fCfa. « Nous avons pu enterrer Junior dignement », affirme maman Yobouet.
Pour faire la lumière sur l’affaire et faire définitivement son deuil, dame Yobouet se constitue partie civile et s’alloue les services d’un cabinet d’avocats guinéens : maîtres Yamoussa Bangoura et Lanciné Sylla. Le 27 mars 2019. Pour la réparation du préjudice subi, la maman sollicite la somme de dix-huit milliard quatre cent soixante millions de francs guinéen à titre de dommage et intérêts. Environ 2 millions de dollar américain. Ce, en application des articles 4 et 158 du Code de procédure pénale.
C’est à partir de là que, contre toute attente, elle va se rendre compte qu’aucun des présumés responsables du drame ne veut en porter le chapeau. Ni les policiers qui ont tiré, encore moins la société Burval qui avait loué leurs services. Pis, les deux policiers qui ont été interpellés sont relâchés très vite. Sans être entendus. Selon les avocats, ces derniers « ne sont même pas correctement identifiés dans les différents procès-verbaux versés au dossier ». Le directeur général délégué de Burval, monsieur Nongkouni Paliwende Remy, entendu le 20 juin 2018, nie avoir eu un camion sur les lieux sus-indiqués ce jour-là. Le convoyeur de fonds, Alsény Camara, bien qu’il reconnaisse dans sa déposition, avoir été accompagné d’un chauffeur et de deux policiers armés dont un était assis derrière le pick-up, explique qu’ils ne sont pas arrivés à la station Total de Hamdallaye. Et qu’ils auraient reçu un coup de fil du gérant de la station qui leur aurait demandé de ne pas s’y rendre. Parce qu’un « camion de banque vient de tirer sur un jeune et il est mort. Donc si nous venons, la population va croire que c’est notre véhicule ».
Pourtant, la balle extraite du crâne de junior a été remise comme pièce à conviction au juge d’instruction. Une simple analyse de cette balle aurait pu montrer de quel type d’arme elle provenait. Que nenni ! Et qu’en plus, le gérant de la station cité dans la déposition du convoyeur de fonds n’a pas été entendu. Depuis, l’affaire qui paraissait simple s’est compliquée.
Les avocats ont alors adressé un courrier au Doyen des juges d’instruction du Tribunal de première instance de Conakry II (Dixinn) le 19 juin 2019. Ils y relatent les faits et soulignent les points manquant du dossier. Ils écrivent qu’ « à la lumière de ce qui précède (les faits) les deux policiers qui étaient armés ce jour méritent d’être entendus dans l’intérêt de la manifestation de la vérité ». Ainsi que le « gérant de la station (Total Hamdallaye Deflandre) et le chauffeur au moment des faits ». Et même qu’ « une confrontation est nécessaire » entre ces différents probables « prévenus ». Ils ont invité la société Burval Guinée à apporter son concours à la manifestation de la vérité. Non sans avoir demandé « une expertise balistique sur les étuis de balles en comparaison avec les armes détenues par les policiers qui n’ont malheureusement pas été saisies et placées sous scellé ». Le tout en application de l’article 150 du Code de procédure pénale.
Mais, à ce jour, les avocats que nous avons joints avec l’aide de dame Yobouet disent rencontrer des difficultés. « J’avoue qu’on rencontre des difficultés avec la nouvelle équipe de la gendarmerie qui ne bouge pas. Sinon, l’ancienne avait délivré des convocations et effectué même un déplacement à l’intérieur du pays aux fins de recherche. Alors, nous avons rencontré le juge en charge du dossier pour lui faire part de nos difficultés et nous entendons lui écrire officiellement courant semaine prochaine (semaine du 10 juin 2022, NDLR) afin qu’il puisse réagir à l’égard de la gendarmerie. C’est ça la réalité et après ça, on verra bien la suite », affirment-ils.
En attendant, la mère de Junior vient d’adresser un courrier officiellement au ministère des affaires étrangères de Côte d’Ivoire pour lui faire le point de la situation. Avec l’espoir que, cette fois, elle aura une oreille attentive. Pour qu’enfin Yobouet Assui Yao Junior Ulrich repose en paix. Les coupables ayant été identifiés et traités comme tels. Sa maman faisant définitivement son deuil.
Franck ETTIEN
L’affaire qui au début était vue comme un incident diplomatique est devenue une affaire civile ? Que la lumière soit faite.
Merci de nous lire