Depuis le 1er août 2023, le PDCI-RDA vit sans son emblématique président, Henri Konan Bédié, qui l’a régenté sans discontinuer pendant 3 décennies. Une éternité qui a éprouvé la résilience du plus vieux parti africain après l’ANC de Nelson Mandela. Pendant cette longue période, Nzueba aura tout connu et tout vécu. Tout ! Des ors et lambris de la République à la galère de l’exil, en passant par le supplice de l’opposition. À la vérité, cet homme aura connu mille vies en une. Il a été opposant à Houphouët-Boigny au début des années 60, avant de devenir le dauphin constitutionnel du grand homme, puis son successeur. Quelle fut à la fois riche et pleine la vie de celui qui fêtait déjà ses premiers milliards à moins de 30 ans. L’âge auquel certains continuent à squatter les salons de leurs pères à Yopougon-Sicogi.
Avec le PDCI, Bédié a dirigé la Côte d’Ivoire et avec le PDCI, il a été un opposant au président Alassane Ouattara dont il a été un allié sûr dans le cadre de l’alliance des Houphouëtistes, avant d’en être l’un des opposants les plus irréductibles. C’est dire s’il a pleinement joué son rôle d’acteur politique de premier plan. Il laisse derrière lui un PDCI orphelin de celui qui en représentait la figure tutélaire voire patriarcale. Surtout à un moment crucial de l’histoire de la Côte d’Ivoire. C’est-à-dire à quelques mois de la prochaine élection présidentielle à laquelle se préparait le vieux leader qui entendait laver l’affront à lui infligé par le pronunciamiento du 24 décembre 1999 qui l’a chassé du pouvoir au moment où il s’y attendait le moins.
Son discours le plus martial
A ce sujet, ne venait-il pas, le 22 décembre de la même année, de prononcer à l’hémicycle, sans doute, son discours le plus martial, invitant la communauté internationale, dans une sorte de bravade, à ne point s’immiscer dans les affaires de son pays?
Faut-il rappeler qu’en ce temps-là, s’élevaient, ici et là, des voix lui demandant de libérer les dirigeants de l’ex-RDR qui croupissaient à la MACA (aujourd’hui, PPA). Son opposant d’alors et adversaire intraitable, Alassane Ouattara, ayant échappé, in extremis, au coup de marteau qui s’était abattu sur la direction de ce parti, alors véritable poil à gratter du pouvoir Bédié. Il n’empêche, le Sphinx de Daoukro refusa fermement d’élargir Mme Henriette Dagri Diabaté, Amadou Gon Coulibaly, Ally Coulibaly et les autres qui avaient commis le péché de soutenir Ouattara dans ses ambitions présidentielles. Ce coup d’Etat était-il la conséquence de ce discours ultra souverainiste ? Toujours est-il que 24h plus tard, les militaires du contingent ivoirien de la Mission des Nations Unies pour la République de Centrafrique (MINURCA) se mutinèrent en revendiquant le paiement du reliquat de leur solde. Minimisant ce coup de sang des « sondjas », Nzueba qui préparait alors les fêtes de fin d’année qu’il comptait aller passer dans son fief, à Daoukro, mit son Premier ministre Daniel Kablan Duncan en mission auprès des mutins. Mais les négociations achoppèrent sur la question des dirigeants de l’ex-RDR dont les militaires insurgés exigeaient aussi la libération. Pour le défunt président du PDCI, c’était une doléance dirimante qui ne pouvait guère prospérer. Il y opposa donc une fin de non-recevoir.
Il y opposa une fin de non-recevoir
Et ce qui devait advenir, advint. Le lendemain, 24 décembre, intervint le coup d’Etat qui écourta sa présidence. Le même jour, sans demander son reste, il prit la route de l’exil, non sans avoir traité son tombeur, le général Robert Guéi, de « zozo »(sic). Ainsi prit fin le règne de cet homme qui aura marqué son pays et son temps. Père du futuriste projet « Les 12 travaux de l’éléphant d’Afrique » qui préfigurait la Côte d’Ivoire du 21e siècle telle que nous la voyons aujourd’hui, Bédié a eu la maladresse de faire preuve d’une raideur incompréhensible dans le traitement de la question Ouattara. De sorte qu’il avait perdu tout esprit de discernement et resta sourd à la voix de la raison jusqu’à sa chute. Mais, Dieu merci, le temps qui est, semble-t-il, l’autre nom du Très-Haut, a fini par faire son œuvre. Résultat des courses, Bédié et son cadet Ouattara se sont rabibochés, le 18 mai 2005 par le biais du Rassemblement des Houphouëtistes pour la paix et la démocratie (RHDP), sur les bords de la Seine où ils ont entonné à l’unisson et en chœur l’hymne à l’houphouétisme originel.
Ils finirent par s’aimer
Des deux hommes, on pourrait dire qu’ils se détestèrent tant qu’ils finirent par s’aimer. Fatalement. Ainsi naquit le RHDP qui scella les retrouvailles des héritiers du père de la nation. Et pendant 13 ans, ils furent les meilleurs amis du monde. C’est dans cette dynamique qu’ils co-gérèrent le pouvoir pendant 8 ans. Avant que l’aîné, pour des questions non encore clairement identifiées, ne rompt les amarres, le 08 août 2018. Le PDCI rallia alors l’opposition avec armes et bagages. Le parti y est toujours au moment où son historique leader quitte la terre des hommes au soir de sa carrière et de sa vie. Avec le sentiment du devoir accompli. Le vieux parti continue cependant à courir après le pouvoir perdu trois décennies plus tôt. Avec un nouveau chef, Tidjane Thiam, enfant du sérail, qui devra, sur le métier, remettre l’ouvrage. En espérant que 2025 soit l’année de son année. Une gageure !
René Ambroise Tiétié