Ils voulaient un décret exceptionnel pour leur intégration dans le corps des Enseignants-Chercheurs et Chercheurs et avaient multiplié des actions dans ce sens ; les Docteurs non recrutés ont eu droit finalement à un concours de recrutement avec épreuves écrites. Oui, une composition sur table pour des personnes qui, après de longues années d’études, ont présenté en soutenance publique les résultats de leurs recherches devant un jury de rang magistral. Une première dans notre pays. 1778 candidats, répartis comme suit dans les centres de composition : 567 à l’UFHB, 653 à l’UNA, 391 à l’ENS et 167 à l IPNETP. Ils sont en compétition pour 660 postes budgétaires à pourvoir dont 450 pour les recrutements nouveaux et 210 pour les glissements catégoriels. Cela fait un peu moins de 37% de chances pour les Docteurs en souffrance.
DES ATTENTES FORTES EN TERMES DE TRANSPARENCE ABSOLUE DU PROCESSUS
Il n’y a qu’un seul chiffre qui peut évoluer que si la volonté politique est vraiment forte : le nombre de postes budgétaires. Sinon presque toujours, ce sera le même argumentaire : l’Etat n’a pas les moyens d’embaucher tous ceux qu’il forme. Donc mon analyse va se limiter aux 660 postes en jeu. L’une des revendications des Docteurs-candidats depuis 2014, début théorique de la massification des Docteurs, c’est l’opacité évidente dans le processus de recrutement des Assistants du Supérieur. Attention, opacité ne veut pas dire forcement corruption ; mais pourrait éventuellement en être le fertilisant. En 2015, avec moi-même en tête, nos actions ont permis de faire évoluer le mode de recrutement par des entretiens menés par des Professeurs de rang A. Débutée avec beaucoup d’espoir avec en amont l’expression des besoins des Laboratoires, une sélection faite par ordre de mérite et de priorité, la machine a commencé à se gripper juste quelques années plus tard. Et les mêmes soupçons de favoritisme et de parrainage ont refait surface. Sur l’impitoyable marché de l’emploi, le fort déséquilibre entre l’offre (ici 660 postes) et la demande (1778 candidats), est toujours le substrat de pratiques illégales de ceux qui ont des parcelles d’autorité et de responsabilité. En passant par voie de concours sur table (c’est suivi d’un entretien) pour nous sortir les meilleurs, ce modus operandi dilapide certes la symbolique du Doctorat et des grands maîtres qui l’ont décerné, et l’intègre au rang des diplômes banals qui sont de véritables certificats d’entrée en chômage en Côte d’Ivoire. En digérant ce mauvais exemple rendu possible par une absence de planification, il nous faut exiger une transparence absolue dans ce processus cette fois-ci. Des simples épreuves sur table ne peuvent offrir à elles seules les garanties de la transparence. A l’ENA, à l’ENS, à l’INFAS et pour presque tous les concours de la fonction publique, les compétitions se déroulent sous forme d’épreuves écrites suivies d’entretiens. Ce qui ne les exonère pas de fortes rumeurs de corruption. Avec ces 660 postes budgétaires largement inférieurs aux attentes des Universités qui se créent partout, il faut mettre en place des mécanismes de transparence très clairs. Présenter par exemple les copies desdits meilleurs ou filmer tous les entretiens, comme document d’archives. En même temps qu’une telle démarche occasionnera moins de critiques, elle pourrait éventuellement en faire un exercice-pilote pour assainir définitivement l’univers des concours administratifs en Côte d’Ivoire.
DU CARACTÈRE INÉGALITAIRE DES CHANCES DES CANDIDATS
Chacun des 1778 candidats qui postulent pour intégrer ce corps (théoriquement) prestigieux des Enseignants-Chercheurs, a sa propre spécialité ou micro-spécialité. C’est ce qui fait du Doctorat un diplôme spécial. Un Docteur en Anglais est forcément spécialiste soit en Civilisation britannique, soit en traduction-interprétariat ou en linguistique… Bien qu’ayant acquis les notions fondamentales un peu partout, il ne peut exceller dans d’autres spécialités. Sa capacité intrinsèque ne peut être évaluée que strictement dans sa sous-discipline. Si pour ces fameuses épreuves écrites, je salue le thème de sujet « Projet pédagogique et de recherche » pour sa teneur transversale, j’ai toujours du mal à comprendre les bases objectives des autres choix d’épreuves. Par exemple, pour les candidats en Lettres Modernes, ils ont composé dans les sous-disciplines suivantes : 1. Les parties du discours, 2. L’Orthographe et 3. Vocabulaire et morphosyntaxe. On m’objectera certainement qu’un Docteur en Lettres Modernes devrait avoir normalement la capacité de faire un exercice d’Orthographe, de Vocabulaire et morphosyntaxe ou d’étudier le discours… Je répondrai par l’affirmatif a priori. Mais, un Docteur en Grammaire normative et descriptive du français et un autre Docteur en Théâtre africain ou en Littérature orale auront-ils les mêmes chances d’exceller dans cet exercice (Il faut dire qu’en tant que concours, on ne cherche pas le bon, mais le meilleur) ? Ces épreuves semblent être (peut-être involontairement) conçues pour favoriser les grammairiens. Les exemples peuvent se situer dans d’autres disciplines. C’est pourquoi il serait souhaitable qu’en plus des épreuves sur le projet pédagogique et de recherche, les autres épreuves devraient concerner directement la spécialité du candidat. On pourrait éventuellement transformer une partie de l’entretien en simulation de planification et d’exécution d’une séquence d’apprentissage (simulation d’un cours par exemple).
ABSORBER LES DOCTEURS EN ATTENTE ET PROFESSIONNALISER LE DOCTORAT
Tout le monde le sait. La libéralisation progressive du secteur de l’Enseignement supérieur a eu pour conséquence immédiate la prolifération des grandes écoles et universités privées en Côte d’Ivoire. Mais il faut que la sous-traitance de la formation au sommet soit mieux encadrée avec des exigences claires, parce que l’Etat y engloutit des sommes énormes pour la formation de ses étudiants. Je parlerai surtout des Universités privées. Il faut que l’Etat y négocie un quota de personnel enseignant titulaire du Doctorat, pour absorber ces Docteurs en attente de leur intégration dans les universités publiques. Cela est valable parce que ces fameuses épreuves écrites laisseront encore sur le carreau plus de 1000 Docteurs. C’est pourquoi, depuis 2015, nous avons, en plus de la clarification du processus de recrutement, suggéré la professionnalisation même du Doctorat. La création récente des écoles doctorales dans des Universités publiques est un petit pas, même si ses modes de sélection doivent être améliorés. Si l’Etat, malgré l’embellie des finances publiques, ne peut absorber le nombre de Docteurs générés par la mise en œuvre du système LMD, il peut au moins mettre en place des instruments pour offrir une plus-value aux doctorants sur le marché de l’emploi. Un Etat fort est un Etat qui utilise à bon escient ses ressources humaines. Une école doctorale qui, en plus des spécialités, oriente ses formations sur les réalités du marché de l’emploi ou sur les process des institutions internationales, formera des Docteurs hauts cadres des entreprises privées ou parfaitement intégrés dans les organismes nationaux et internationaux. Par exemple, un Docteur en Lettres peut parfaitement s’intégrer au monde de la Finance si son cycle doctoral est appliqué au vocabulaire de la finance. En clair, l’Etat peut bien prendre le leadership des réflexions fécondes pour une meilleure répartition de ses titulaires du plus prestigieux diplôme universitaire. C’est uniquement à ce titre qu’on pourra inverser la laide tendance à banaliser le Docteur dans ce pays pourtant candidat à l’émergence. Cette réflexion pourra toujours être enrichie.
Dr Kévin BOUMY
Maître-Assistant Université Félix Houphouët-Boigny
Merci! Cher maître ! Vous touchez des points essentiels qui doivent être revus. J’ai particulièrement apprécié la proposition sur le contenu de l’entretien qui pourrait s’articuler autour de la planification et l’interraction pédagogique. Merci. Vivement que le Ministre tienne compte de ces suggestions ! Que Dieu vous bénisse