C’est l’émergence des recrutements exceptionnels à la fonction publique de Côte d’Ivoire. Comme le disait une célèbre réclame que nous paraphrasons, « pas un pas sans communiqué ». Le dernier en date du 2 juin 2022 ouvre la voie à dix corps de métier (urbaniste, cancérologue, ingénieur aviation civile, architecte, etc.).
C’est en 1985, sous Félix Houphouët-Boigny, que le recrutement exceptionnel a été initié. Il a concerné 1.200 universitaires, titulaires de la licence et de la maîtrise. En 2010, pour les besoins d’une décentralisation totale avec la création, par Laurent Gbagbo, de 1126 communes rurales, l’État a organisé le recrutement de mille titulaires de maîtrise, toute option, pour subir une formation de dix mois avec des stages pratiques de trois mois dans des administrations. Ces recrutés ont été reclassés dans l’emploi d’attaché (administratif et financier) et mis, à 90%, à la disposition du ministère de l’Intérieur. Ils y ont occupé les fonctions de secrétaires généraux des communes, directeurs généraux adjoints et sous-directeurs dans les conseils généraux. Certains ont accédé aux emplois d’administrateur par concours interne quand d’autres ont pu bénéficier de la formation complète après admission à l’ENA.
Aujourd’hui, et sous la gouvernance d’Alassane Ouattara, c’est le printemps des concours exceptionnels. Aucune corporation, à l’exception peut-être du corps de la magistrature, n’y échappe au point que notre administration est truffée de ceux baptisés « administrateurs sac à dos ». Grâce aux micmacs des concours internes, ce sont des fonctionnaires sans diplôme de l’ENA et sans aucune remise à niveau adéquate.
En effet, le ministère de la Fonction publique et de la Modernisation de l’administration mène une sourde concurrence à l’ENA. Alors que cette structure, placée pourtant sous sa tutelle, organise des concours ordinaires d’entrée pour les fonctions dans les grades A et B – emplois de secrétaire (administration, finances, lois sociales), d’attaché (administration, finances, lois sociales) et d’administrateur (civil, finances générales) – la direction des concours du ministère organise aussi, à titre exceptionnel, ces mêmes concours, pour des recrutements parallèles.
Il se trouve alors que des malheureux candidats, qui ont échoué à une ou plusieurs tentatives, se trouvent repêchés exceptionnellement à ce concours. Ceux-ci, après sélection et loin de l’ENA, suivent la « formation à l’administration de base » pendant six mois dans des centres (INJS, centre INPHB d’Abidjan, IPNEPT, etc.). Cerise sur le gâteau, avant d’être reversés directement et immédiatement à la fonction publique, dans le corps administratif, ils sont évalués, non individuellement mais collectivement pour masquer les insuffisances et les faiblesses des uns et des autres.
Pendant ce temps, ceux qui sont admis régulièrement au concours de l’ENA, vivent le chemin de croix. Ils sont astreints à une formation de 18 mois, 24 mois et 30 mois pour les cycles respectivement moyen, moyen supérieur et supérieur, avec à la clé, une attente de six mois pour leur première affectation.
L’administration ivoirienne, qui se gangrène, négocie, par conséquent, la voie dangereuse de la médiocrité. Avec le recrutement exceptionnel qui devient la règle et la norme. Et les concours ordinaires (directs et professionnels), pour accéder aux grandes structures (ENS, Esatic, ENSEA, INJS, etc.) à l’effet d’une formation qui consacre la qualité, la crédibilité et l’intégrité, sont, de plus en plus, contournés pour la facilité.
Résultat, qui saute aux yeux, l’administration ivoirienne pâtit de plus en plus de ces tâtonnements et autres arrangements voulus. L’examen se faisant sur « étude de dossiers », cette pratique malsaine dresse le lit de la corruption à grande échelle et à ciel ouvert, dans ce pays qui étonne le monde.
M. Bally