Le mardi 21 juin 2022, à l’instar de tous les 21 juin depuis 1982, a été célébré, partout dans le monde la fête de la musique. En Côte d’Ivoire, même si l’événement n’a pas connu un faste particulier, les professionnels, eux, ont pu marquer, chacun à son niveau ce jour. C’est le cas du Docteur et Ingénieur culturel, Alain Tailly qui a accepté de répondre à quelques questions de adjuwa.net.
Existe-t-il une musique ivoirienne ? Si oui, comment s’identifie-t-elle ?
Oui, il existe aujourd’hui une musique nationale ivoirienne qui est le fruit du brassage de plusieurs rythmes traditionnels (Aloukou, Zoulou, Ébo Guitaa, Palongo, Goumbé, etc) et d’une longue mutation de la chanson d’animation (scoutisme, OISSU, Wôyô). Cette musique a également agrégé des éléments du Hi-life ghanéen et de l’Afro-beat nigerian. C’est donc une musique de synthèse, généralement exprimée en français, avec des accents mélodiques empruntés à la chanson traditionnelle. Cette musique ivoirienne, cest le Zouglou.
Le zouglou à lui seul peut-il être considéré comme l’identité musicale ivoirienne ?
Non, le Zouglou est certes une expression majeure de la culture ivoirienne, mais le Coupé Décalé, lui aussi musique syncrétique, hérité de la longue période d’influence zaïro-congolaise, est l’autre composante de l’identité musicale ivoirienne. Mais s’ils sont les plus en vogue, Zouglou et Coupé Décalé n’épuisent pas la richesse musicale ivoirienne. Le Reggae made in Cote d’Ivoire, celui d’Alpha Blondy, de Tiken Jah Fakoly et d’Ismaël Isaac porte la marque de fabrique de la Côte d’Ivoire. Le Rap ivoire est aussi un genre à part entière qui tient une place importante. Je ne peux oublier toutes les musiques tradi-modernes (Akyé, Wê, Baoulé, Mandingue, Gouro, etc.) qui animent nos cités. Toutes ces musiques constituent la mosaïque musicale ivoirienne, avec comme fer de lance le Zouglou et le Coupé Décalé.
Qu’est-ce qu’il manque à la musique ivoirienne pour s’imposer au plan international (européen et américain)?
Premièrement, une solide formation pour les arrangeurs et les chanteurs afin de leur permettre de produire des créations bien élaborées du double point de vue musical et textuel. Deuxièmement, un meilleur accès à l’information culturelle professionnelle (réseaux, marchés, festivals, labels, financement, etc). Troisièmement, la formation ou la collaboration avec de véritables diffuseurs, connaissant le marché international et capables d’y positionner les artistes ivoiriens. Enfin, la mise en place d’une véritable economie musicale numerique avec de puissantes plateformes de streaming, monetisées et capables de booster la musique ivoirienne, en Cote d’Ivoire et dans le monde.
La Côte d’Ivoire a connu de grands orchestres. Ceux de la rti, de la marine, de la gendarmerie, etc. Cette époque semble bien loin. Est-il possible de revivre ces moments ? Y a-t-il une réelle politique de culture musicale de la part des autorités étatiques?
Cette époque glorieuse correspond à l’époque d’un mécénat d’État très fort, incarné par le Président Félix Houphouët-Boigny. Aujourdhui, il y a de nouvelles pratiques avec les orchestres de quartier qui animent dans les maquis et les bars. Des centaines d’orchestres existent aussi dans les églises, et d’autres animent les mariages et les baptêmes partout dans le pays. Je n’oublie pas les groupes de fanfares qui pullulent dans nos villes et villages. Ce sont, à mon avis, ces ensembles musicaux qu’il faut consolider et promouvoir, car ce sont eux qui font vivre au quotidien la musique et les musiciens. Ceci ne peut se faire que dans le cadre d’une politique sectorielle de la musique, assortie dun programme pluri-annuel de développement de la filière Musique doté de moyens conséquents. Malheureusement, je n’ai pas encore vu les frémissements d’une telle politique.
Quels sont les espoirs ?
Ils sont nombreux. Un patrimoine musical traditionnel riche et varié, une jeunesse créative et dynamique, un marché mondial de 7 milliards de consommateurs désormais accessible via le Net. C’est à nous de nous organiser intelligemment pour développer une stratégie nationale gagnante.
Réalisée par Franck ETTIEN