Avec une base militaire américaine, la Côte d’Ivoire sera une « place forte » de l’Occident en Afrique.
Le 26 Juillet 2023, le président Bazoum du Niger est renversé par le général Tiani, chef de la garde présidentielle. Dans les tout premiers jours, ce dernier montre des signes d’ouverture vis-à-vis de tous les « partenaires historiques du Niger ». Mais lorsque la France, dont Bazoum était proche, demande la « restauration de la légalité constitutionnelle », la junte organise alors d’immenses manifestations pour réclamer le départ des soldats français. Après un bras de fer, le 24 Septembre 2023 la France consent à retirer ses soldats sur 03 mois, un départ effectif le 22 Décembre 2023.
Même si la junte a semblé dans un premier temps tolérer la présence des Américains, eux aussi présents au Niger dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, il était clair que ce n’était qu’une question de temps avant que leur départ ne soit aussi reclamé, et cela pour une raison toute simple, les nouvelles autorités avaient commencé à nouer des contatcs avec la Russie, suivant en cela la voie du Mali et du Burkina de qui elle s’était rapprochées pour des raisons évidentes. Le départ des soldats américains du Niger était donc dans la logique des choses. Il était évident qu’il interviendrait tôt ou tard.
Les États-Unis disposaient de deux bases au Niger. Une première base située près de l’aéroport international de Niamey. Construite en 2013, elle servait aussi de base de mission pour les Français, qui y avaient stationné le gros de leur contingent. La seconde base se situait dans la région d’Agadez, au centre du pays. Construite en 2016, c’était la deuxième plus grande base américaine en Afrique après celle de Djibouti. Dédiée aux renseignements et à la surveillance du Sahara, elle accueillait des drones et des avions cargos C-17. Selon la presse spécialisée, 100 millions de dollars furent nécessaires à sa construction, et 30 millions de dollars par an étaient dépensés pour sa maintenance. Au total, quelque 1000 soldats américains stationnaient sur les deux bases en 2023.
La loi américaine interdisant toute coopération avec un régime putschiste, les américains n’ont pas tout de suite parlé de putsch, afin de ne pas avoir à plier bagage précipitamment, mais ont néanmoins suspendu plusieurs accords avec le pays. Le 16 Mars dernier, le Niger dénonçait officiellement les accords militaires liant les deux pays. S’en suivent des négociations, et le 10 mai un accord est trouvé pour le retrait définitif des soldats américains au plus tard le 15 Septembre 2024. Ainsi contrairement au retrait français qui fut très tumultueux, le retrait américain se fait relativement en douceur. Notons au passage que le Niger se prive d’une aide budgétaire substantielle, qui s’élevait à 400 millions de dollars en 2022 (environ 240 milliards de FCFA), il était prévu une augmentation de 200 millions supplémentaires sur la période 2022-2024.
Restait pour les américains à trouver un point de chute, car il est hors de question pour eux d’abandonner le terrain. Deux Etats vont être retenus, la Côte d’Ivoire et le Bénin. En fait, il semble que les américains veuillent éclater les activités de leurs bases du Niger, et non plus les concentrer dans un seul Etat. Le 28 Avril le président Ouattara recevait le général Michael Langley, patron du commandement unifié des forces américaines en Afrique-AFRICOM. On apprenait au terme de l’audience que la Côte d’ivoire avait donné son « accord de principe » pour une base américaine sur son sol.
Le choix de la Côte d’Ivoire comme « plan B » par les Américains fait sens. Il ne faut pas perdre de vue qu’ Abidjan abrite la plus grande ambassade américaine d’Afrique de l’Ouest, et l’une des plus grandes d’Afrique. La taille de l’infrastructure impressionne, et ne cadre pas avec le volume relativement modeste des échanges économiques entre les deux pays , ce qui amène à dire que le bâtiment sert à bien autre chose que les activités diplomatiques conventionnelles. Depuis son inauguration en 2005, on soupçonne l’ambassade d’être « un nœud logistique » des activités liées aux renseignements, une sorte de « grande oreille » qui permet aux américains de saisir tout ce qui se trame en Afrique de l’Ouest.
Avec cette future base, le pays qui abrite déjà une base française depuis son indépendance, devient une place forte de l’Occident en Afrique, dans le contexte notable d’un sentiment anti-occidental généralisé sur le continent. Aujourd’hui de plus en plus de gouvernements nouent des « partenariats » avec la Russie, ou du moins équilibrent leur positionnement pour ne pas apparaître comme trop alignée sur « l’Occident ». La Côte d’Ivoire confirme clairement son camp, comme elle l’avait fait du temps du président Houphouët. Elle s’est toujours alignée sans ambiguïté sur l’Occident. Elle le fait en connaissance de cause, et en recueille les fruits en termes d’investissements et d’accès aux financements internationaux, quoi que l’on dise.
De fait, comme mentionné plus haut, l’aide américaine au Niger s’élevait à 400 millions de dollars en 2022, et une hausse de 200 millions était prévue sur la période 2022-2024. Suspendue dès le putsch, elle sera très certainement « redirigée » vers les nouveaux pays d’accueil des bases. Aussi même si cela ne sera jamais évoqué publiquement par les deux parties, les retombées financières de la présence américaine ne seront pas négligeables. On peut aussi prévoir une intensification de la coopération en matière de renseignements. Ainsi la Côte d’Ivoire et éventuellement le Bénin, ne sortiront pas « perdants » financièrement parlant. Cela, il faut le dire clairement.
Va-t-on assister à une montée en puissance du sentiment anti-occidental dans le pays comme ce fut le cas au Sahel ? C’est quelque chose à prendre en compte. A cet effet, il semble que dans un premier temps, les Etats Unis se feront discrets en ne construisant pas de bases propres comme ils l’ont fait au Niger. Selon le général Kenneth Ekman, chef de la stratégie au sein de l’AFRICOM en visite à Abidjan le 24 Juillet dernier, les Etats-Unis « envisagent de travailler avec les militaires ivoiriens au sein des installations disponibles». Une stratégie destinée à ne pas rendre leur présence trop visible.
Douglas Mountain
Le Cercle des Réflexions Libérales