Le samedi 07 Septembre dernier, le maire de Yopougon et Président de l’Assemblée Nationale, Adama Bictogo, animait deux meetings pour « remercier les populations de l’avoir porté à la tête de la commune lors des municipales de Septembre 2023 ». On peut tout de suite remarquer que le maire aura attendu quasiment une année pour dire merci aux populations. C’est tout simplement que la véritable raison du meeting était ailleurs. Le discours de Bictogo n’était pas axé sur des remerciements. Il a plutôt exhorté les militants à se mettre dès maintenant « en ordre de bataille pour plébisciter le président Ouattara en 2025 ». Ce message n’est pas nouveau. Ce qui l’est en revanche, c’est le contexte dans lequel il intervient.
L’homme a pris un « coup de vieux », on le sentait sorti d’une grosse épreuve. Il faut se rappeler qu’entre Avril et Juin dernier, sa société SNEDAI faisait l’objet d’une enquête concernant la concession qui la lie à l’Etat pour la confection des passeports et visas. Ses proches collaborateurs dont sa fille et ses frères avaient été longuement auditionnés par le pôle économique et financier du tribunal de première instance d’Abidjan-Plateau. L’enquête visait à déterminer si la part destinée à l’État dans le cadre de la concession avait été intégralement reversée. Pour faire court, le fisc réclamait 4 milliards FCFA à SNEDAI, donc à Adama Bictogo. Parallèlement, son groupe s’est vu retirer le marché de la confection des cartes de la couverture maladie universelle (CMU). Quant à la concession concernant les passeports et les visas, les négociations prévues pour son renouvellement avaient été annulées ; Et l’Etat avait lancé un appel d‘offres, comme pour signifier que SNEDAI devra se battre à nouveau pour l’obtenir, étant entendu que l’entreprise ne bénéficiera d’aucun traitement de faveur.
Adama Bictogo aurait-il été puni pour avoir exprimé des « ambitions présidentielles » dans une interview au média Jeune-Afrique, interview mise en ligne le 16 Avril dernier ? A la question de savoir s’il ferait acte de candidature au cas où le président ne se représentait pas, Adama Bictogo avait répondu que « personne ne peut se projeter tant que le président Ouattara ne s’est pas encore prononcé ». C’est cette phrase qui lui aurait valu de frôler une « mise à mort politique ». Car selon l’entourage présidentiel, elle n’implique pas une « loyauté sans faille » envers le président. Elle laisse entendre qu’il « est prêt à se lancer ».
Ce qui aurait mis Adama Bictogo véritablement dans la tourmente. Son avenir politique se jouait. Il fit acte de contrition et rapidement rentra dans les rangs. Le 14 Juillet, il est reçu par le Président Ouattara à qui il réaffirme son entière loyauté. Le président en retour lui assure de sa « pleine confiance et de son soutien dans l’affaire qui le vise ». Puis comme par enchantement, ses ennuis judiciaires prennent fin. Qui pouvait bien être à la manœuvre ? Cissé Bacongo ? Téné Birahima ? Fidèle Sarassoro, le secrétaire général de la présidence ? Tiémoko Meyliet ? Mais, Un faisceau d’indices pointe vers le gouverneur Bacongo. C’est l’homme le plus en pointe, celui qui montre le plus de zèle dans ce qui apparaît comme la « pré-campagne ». « Le président Ouattara reste le candidat du parti pour la prochaine présidentielle. Les autres peuvent rêver », déclarait-il après l’interview de Bictogo.
Après avoir été « pardonné » Bictogo se devait de « montrer du zèle », de traduire sa loyauté en actes concrets. C’est la vraie raison du meeting du Samedi 07 Septembre dernier. « Je vais m’atteler à inscrire chaque nouveau électeur sur la liste électorale et pour cela, je vais rencontrer les jeunes, les femmes, les groupes d’opinion, les groupes socio-professionnels, etc., pour leur prouver que seul Alassane Ouattara est celui qu’il nous faut pour continuer sur la voie du progrès », a-t-il déclaré. Difficile de se montrer plus loyal.
Mais Bictogo a aussi réglé ses comptes. Il a martelé avec insistance qu’« on ne dirige pas un parti en restant dans son bureau ». Une attaque en règle contre le gouverneur Bacongo, SG du parti. Bictogo a aussi promis « de trouver des solutions pour les populations déguerpies dans la commune » de Yopougon. Une autre pique envers Bacongo, régulièrement accusé de déguerpir sans proposer de site de recasement. De fait, en tant que « coordinateur principal du parti », Bictogo mène sa propre partition, indépendamment du secrétariat général.
Il faut s’attendre à une intensification de la lutte entre ces deux personnalités. Chacun veut se positionner comme « héritier-successeur » du président Ouattara. Bictogo reste toujours exposé à une réouverture du dossier concernant ses démêlés avec le fisc. Va-t-il pour autant laisser le terrain à ses adversaires ? Il semble que non.
Cette lutte interne fragilise la formation présidentielle. Elle crée des lignes de fracture. Elle prépare les conditions de l’implosion, de la scission. Ne serait-il pas tant pour le président Ouattara d’opérer un choix sur un éventuel « héritier » ? Car tant que cela ne sera pas fait, le RHDP restera un véritable nid d’intrigues, avec une cohésion de façade.
Douglas Mountain
Le Cercle des Réflexions Libérales